Théâtre

Ajuster Sebald – sur Les Émigrants de Krystian Lupa

Philosophe et écrivain

Après deux annulations et presque un an d’attente, le spectacle du metteur en scène polonais Krystian Lupa a été créé vendredi dernier dans la salle principale du Théâtre de l’Odéon à Paris. Il met en scène deux récits extraits du livre que W. G. Sebald publia en allemand en 1992, Les Émigrants. Deux vies que Lupa restitue en prenant quelques libertés avec le texte de Sebald. Tout sauf une adaptation donc. Un ajustement scénique et existentiel qui déploie avec un grand raffinement le travail mémoriel de l’écrivain allemand.

Des bureaux d’écolier et deux portes côté jardin, un lit et une fenêtre à crémone côté cour, une table au milieu. Fermant la scène sur ses trois côtés, des murs décrépits et couverts de dessins indéchiffrables s’interrompent à mi-hauteur, laissant deux fenêtres plein cintre s’élever dans le vide. C’est dans cet espace ruiné et en même temps polyvalent que la première partie des Émigrants se déroule. Tout à la fois salle de classe, bureau et chambre, église et palais, la scénographie dispose les lieux afin d’articuler les temps : le présent de l’enquête mené par le narrateur-écrivain, le passé de ses souvenirs d’enfant et celui restitué de la vie de Paul Bereyter, dont c’est le lit.

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On découvrira à la fin de la seconde partie du spectacle que les murs défraichis sont translucides, qu’il y a derrière eux une autre scène où viennent errer les figures disparues. Dès le début, tout est sous nos yeux : le présent et les strates du passé, qu’il faudra parcourir puis déplier. À plusieurs reprises, un écran s’abaissera devant le plateau où des vidéos seront projetées, scènes du passé soudain présentes par la grâce de l’image. Le dispositif est complexe mais aussi limpide. Le passé est là, tout autour, mais il est confus, brouillé par la superposition des souvenirs. Le but de la mise en scène, qui suit pas à pas l’enquête du narrateur, sera de l’éclaircir, d’y discerner des moments, de reconstituer des scènes, autrement dit de disperser les ombres qui le rendent inaccessible.

Reprenons.  Le narrateur-écrivain est près de la fenêtre, il lit une lettre qu’il vient de recevoir, puis un article de journal. De l’autre côté du plateau, près du mur du fond, dans l’ombre, un homme est assis à un bureau d’écolier. Dans quelques minutes, il viendra à la rencontre du narrateur. Celui qui lit et se souvient est W. G. Sebald. Celui qui attend dans la salle de classe est Paul Bereyter ; il fut son instituteur quand, au début des années 1950, ses parents déménagèrent à Sonthofen,


Bastien Gallet

Philosophe et écrivain