Ajuster Sebald – sur Les Émigrants de Krystian Lupa
Des bureaux d’écolier et deux portes côté jardin, un lit et une fenêtre à crémone côté cour, une table au milieu. Fermant la scène sur ses trois côtés, des murs décrépits et couverts de dessins indéchiffrables s’interrompent à mi-hauteur, laissant deux fenêtres plein cintre s’élever dans le vide. C’est dans cet espace ruiné et en même temps polyvalent que la première partie des Émigrants se déroule. Tout à la fois salle de classe, bureau et chambre, église et palais, la scénographie dispose les lieux afin d’articuler les temps : le présent de l’enquête mené par le narrateur-écrivain, le passé de ses souvenirs d’enfant et celui restitué de la vie de Paul Bereyter, dont c’est le lit.

On découvrira à la fin de la seconde partie du spectacle que les murs défraichis sont translucides, qu’il y a derrière eux une autre scène où viennent errer les figures disparues. Dès le début, tout est sous nos yeux : le présent et les strates du passé, qu’il faudra parcourir puis déplier. À plusieurs reprises, un écran s’abaissera devant le plateau où des vidéos seront projetées, scènes du passé soudain présentes par la grâce de l’image. Le dispositif est complexe mais aussi limpide. Le passé est là, tout autour, mais il est confus, brouillé par la superposition des souvenirs. Le but de la mise en scène, qui suit pas à pas l’enquête du narrateur, sera de l’éclaircir, d’y discerner des moments, de reconstituer des scènes, autrement dit de disperser les ombres qui le rendent inaccessible.
Reprenons. Le narrateur-écrivain est près de la fenêtre, il lit une lettre qu’il vient de recevoir, puis un article de journal. De l’autre côté du plateau, près du mur du fond, dans l’ombre, un homme est assis à un bureau d’écolier. Dans quelques minutes, il viendra à la rencontre du narrateur. Celui qui lit et se souvient est W. G. Sebald. Celui qui attend dans la salle de classe est Paul Bereyter ; il fut son instituteur quand, au début des années 1950, ses parents déménagèrent à Sonthofen,