Les enfants des derniers seront les premiers – sur Le dernier des Juifs de Noé Debré
À Jacques Ehrenfreund, qui m’a fait lire Un champ à Anathoth
Le générique final du film de Noé Debré se superpose aux images d’un concert d’Enrico Macias. Rapidement, alors que les noms défilent à l’écran, on se surprend à murmurer en rythme – J’ai quitté mon pays, j’ai quitté ma maison, ma vie, ma triste vie, se traîne sans raison… – et à pleurer.

Avant ce film, Enrico Macias avait surtout accompagné des moments joyeux de ma vie, comme ce week-end d’enterrement de vie de garçon, l’année dernière, à Lisbonne. Au petit matin d’une très longue nuit, le futur marié avait donné le signal : Dans toute la ville on m’appelle le mendiant de l’amour. Moi je chante pour ceux qui m’aiment et je serai toujours le même – il chantait crescendo, dans les rues de la ville déserte : Il n’y a pas de honte à être un mendiant de l’amour. Moi je chante sous vos fenêtres chaque jour – et à cette rime-signal, huit voix, dont la mienne, avaient répondu à tue-tête : Donnez, donnez, do-donnez. Donnez, donnez-moi. Donnez, donnez, do-donnez… Souvenir heureux avec Enrico. Souvenir pourtant, qui, maintenant que j’y repense, pourrait pointer vers autre chose.
Mon ami Lounès, le fiancé de cette virée lisboète, doit son prénom à Matoub Lounès ; le grand musicien kabyle assassiné en 1998, dont son père était l’ami et le compagnon d’orchestre. Il y a quelques années, alors qu’on dansait sur la version de Ya Rayah de Rachid Tarah, Lounès m’avait expliqué les paroles de ce tube, me laissant élégamment deviner l’expérience douloureuse que la chanson touchait chez lui. De la même manière, lorsqu’Enrico Macias publiait son autobiographie en 2015, il l’ouvrait par ces lignes : « J’ai plusieurs fois raconté ma vie. Des émissions de télévision, de longues interviews à la radio. Il y a beaucoup de sourires dans ces récits, beaucoup de ciel bleu. […] Mais je n’ai peut-être pas raconté combien cette histoire ne ressemble pas toujours à mon image. Je voudrais vous raconter […] l’envers du ciel bleu. »