I n s e l h i n
vers nous et devant nous et vers nous.
Paul Celan, « Port », Renverse du souffle
c’est chaque jour chaque nuit
maintenant sur la terre
quelque chose a commencé
visible par tous maintenant – l’ob/
scène agonie de l’empire occident
sous nos yeux interminablement
qui se décompose femmes en/
fants hommes en/
semble hurlant comme un seul
trou déjà seule bouche en tas &
milliers d’yeux sans
face ex/
orbités déjà fouillant
la nuit cherchant un
autre dans la nuit nous
regardant depuis l’autre
côté de nous ici à la surface
de l’image et c’est comme si
c’était notre propre naufrage
soudain qui re-
surgissait tout l’en-
foui primitif de l’espèce face à
nous de nouveau qui fuyait qui re-
montait depuis l’autre bord de la nuit
dans nous fuir la mort le sang-
noir de la mer dehors demander re/
fuge
help! help! crier vers
nous là-bas dans le trou à cris
et c’est nos propres cris
de nouveau qui sont tus
quelque chose devient vrai écrit celan
sans dieu sans nom sans révélation.
Nue maintenant devant nous la chose elle-
même hors scène – rien béant à même
la scène occident tout entière et l’ex-
posant à rien de nouveau comme
au premier jour.
Toutes nos phrases nos images.
Tenues de se tenir au bord
déjà elles aussi de la commune
béance
=
sur le bord extrême du regard il dit
où ça s’ouvre l’abîme du ciel
et va et vient de cœur en cœur et
nous tient ensemble ainsi battant
de part et d’autre du même souffle
en deux un temps
=
au beau milieu du divin dit nancy
là et seulement là chaque fois
où ça a lieu nous
……………
revient maintenant la chose vie/
mort depuis l’autre bord du temps
dans nous avoir lieu.
Devenir vraie.
Nous regarder.
Regarde : d’avant nous d’avant
les mythes à miracles & ex/
termination la chose nue in-
tuable elle-même nous faire face
=
nous remettre à nous
c’est partout sur la terre
quelque chose arrive
à même la vieille scène encore
et le flux continu aveuglant
des images déjà qui efface
toute présence : le naufrage
terriblement réel terriblement
irréel de la terre & ciel autour qui
l’abritait et c’est comme si l’ex-
demeure de la nuit où sourdent mêlées encore
les sources du ciel & de la terre & mer & a/
bysses du tartare [dixit à peu près La mort
dans les yeux de vernant] bref des deux
extrémités de l’uni-
vers la béance
originelle elle-
même sans fond pur non/
lieu non/
né non/
face pur né/
ant face à nous se rouvrait
ô flots !
regarde : les flots profonds redoutés
des mères oui et l’irregardable n/
ichts alors vide vide le noir d’a/
vant après toute chose tout l’il y
a qu’il y a oh même toi
…………
nichts mehr!
…………
même le ciel le grand
himmel de tes yeux là-
bas tout en bas se vi-
dant de dieu déjà sang
rouge et sang noir mêlés
ici de nouveau et personne
hilf! ils supplient comme font les in/
fans et les mourants dans le noir
………………………………
et mama oui comme george floyd
le 25 mai 2020 à minneapolis
déjà tu te souviens et madre mutter mo/
ther mum oum oummi oumma oumaya/
ma mati anne mor etc. dans toutes
les langues pour faire comme si
dieu quand même mais non nie/
mand nichts
ô dieu ! ils prient à défaut de nous
dans les flots redoutés des mères
à genoux mais non rien comme
un dieu –
quelque chose devient vrai c’est tout
=
revient depuis l’extrême autre
de nous vide comme mort
déjà dans nous non/
semblant non-méta-
morphosable nous dé-
visager
c’est la chose non-vie non/
divine –
la chose mort à défaut de dieu
regarde : c’est chaque fois que deux
se regardent pour de vrai voient
l’ombre béante de la même non/
commune horreur venir
c’est chaque jour chaque nuit
c’est la nuit du mercredi 13 au jeudi
14 juin 2023
……………
quelque part au-dessus de la fosse
calypso où la plaque africaine glisse
sous l’eurasienne au beau milieu
de la mer dite médi-
terranée dite mare
nostrum c’est sur les ponts supérieur et
inférieur et dans les cales dessous
verrouillées de l’andri-
anna où sont parquées à part
les femmes et les enfants c’est là
cette fois que ça a lieu
à même les corps et
cris la chose non/
chose non/
humaine dite horreur
oh dieu! ils crient et mama!
dans toutes les langues o
god! my god gott allah o dio! o ad/
ona/
y h w h oh dieu mon
dieu! mais non personne
qui vient –
…………
o – a – o – a
…………
berçante mer de voyelles dit déjà nelly
sachs après la shoah et les mots
ont tous sombré
alle worte elle dit
morts avec les morts sans mots
là-bas sans nom sans yeux sans
visage à la fin réduits à rien déjà
vides de nous
tot
vides de dieu – et criant – re-
venant ici avec ceux-là crier
……………………………
consonnes et voyelles elle dit crient
dans toutes les langues/ au secours!
help! hilfe! please! aiuto please don’t let us
die! etc.
tous les corps et tous les mots qui sont
pour franchir l’abîme entre les corps
et les tenir ensemble ainsi un temps
dans la vie la mort [les mots vie mort je
veux dire et les mots je vouloir et dire et tout
comme ça corps et âme abîme origine et
fin ça moi tu nous monde aurore et horreur a/
mour et haine angst ange sang sexe trou et dieu
père et mère homme femme enfant frère et sœur fa/
mille patrie peuple pouvoir figure fix/
ion et réel art et vérité sens et sen/
timent nature énigme beauté chaos hu/
main cœur animal commun cosmos matière es/
prit air vent souffle haleine espace temps et big
bang éclat éclosion dispersion son et lu/
mière lucioles étoiles nuit voix larmes nost/
algie heim retour dés/
ir passion folie fureur fusion t – u
e – r – i – e – s ex/
il ex/
ode h o s p i t a
l i t é i d e n t
i t é a u t r e et
m ê m e a
v e c a u p r è s
p a r m i ex/
posé peau et psychè
unique et innombrable in/
time inconnu fini et in/
fini v i s a g e etc.] et c’est comme si les mots
qui sont le seul nom la nuit seul
visage à la fin où nous réfugier
finissaient eux-mêmes maintenant
de sombrer
a – l – l – e – w – o – r – t – e
tous les mots toute la très ancienne très
mince toile de mots tissée depuis la nuit
des temps pour appeler un autre
dans la nuit faire venir un res/
semblant et nous enrouler avec
lui dedans nous dire viens! komm!
dans ta langue comme si c’était le seul
abri –
seul heim chaque fois au bord
de l’abîme où survivre
c’était la nuit. C’est sur la mer dite mare
mortum au large de la mythique cita/
delle europe [ex-europa fille de roi
africain aimée de zeus roi des dieux
transformé en taureau qui la ravit et
emporte en crète où elle enfante deux
fils et ainsi de suite] ex-empire oc/
cident hanté par l’un/
heimlich béance d’origine et les spec/
tres et autres restes d’h o m
m e s f e m
m e s e n
f a n t s par millions de l’illimitée
accumulation primitive du capit/
al-cadavres des conquêtes & co/
lonies traites camps croi/
sades massacres po/
groms et autres tueries et ex/
terminations pour en finir
avec la mort incarner nous/
mêmes le dieu mais non n i e
m a n d –
rien d’autre à la fin dans les fosses
béantes sous le ciel é
t o i l é v i d e grand
ouvert que la chose tot sans fin ni
dieu ni nous
……………
et qui ou quoi de nous reste
alors et avec quels yeux
quels mots maintenant
nous retenir de sombrer
ça a commencé déjà
……………………
c’est sur ces visages sans visage déjà
noircissant ici sous mes yeux s’en/
fonçant dans le noir c’est là l’autre
de m – o – i = ex/
trême bord de t – o – i
c’est dans ces yeux troués déjà dé/
bordant d’eau et continuant dedans
nous de nous regarder
regarde : s’en aller de nous
devenir personne = rien = un comme
chaque autre à la fin + grand + res/
semblant + souverainement égal
à tout le monde –
regarde et c’est comme s’ils re/
joignaient à leur tour l’irras/
semblable co/
horte de tous les spectres fant/
ômes morts et autres sans/
île et restes de peuples & po/
èmes comme s’ils devenaient eux/
mêmes nos propres ombres
………………………
a – l – l – e – w – o – r – t – e
………………………
tous nos mots phrases prières histoires
depuis le commencement pour tra/
verser la nuit et rien
tot
tout ce qui faisait l i e n
=
h – u – m – a – i – n entre
deux au bord du même
noir et chaque un l’île
pour l’autre et chacun
le tot
c’est là maintenant
on regarde : tous ces autres de nous ici
sur l’image au bord du noir là-bas sans
nous et toutes les images et les livres et
lettres du mot h u/
m a i n avec eux sombrer
souffles et sons sens voix
tous les cris les écrits premiers pour aller
vers = faire n o u s
un a b r i
une î l e
une i n s e l dans ta langue une v i e
p l u s – q u e – v i e entre deux apo/
calypses deux véri/
dictions deux di/
visions dernières de la l u m i è r e et
n o i r
c’était là-bas déjà
tous les mots les émois les m é-
m o i r e s
m e r rouge et sang-noir e x
o d e et o d y s s é e u l y s s e et
c a l y p s o tu te souviens la merveilleuse
nymphe aux belles boucles sur l’île d’o
g y g i e où sont l’antre profond pour l’amour
et les peupliers les aunes les cyprès qui sentent
bon et les tendres prés de violettes raconte h o
m è r e –
mais non tot tout ça belles trop
belles histoires et qui ou quoi reste
de nous quel l i e n quel i n
t u a b l e de la mort avec quoi re/
faire tout autrement a l l i a n c e
=
n o u s pour de vrai ?
……………………
et quelle a u r o r e sinon ?
NdA – Dans Choix de poèmes, de Celan, où figure le poème « Inselhin », Jean-Pierre Lefebvre traduit ce titre de poème par « Droit sur l’île ».