Société

Quelles sanctions pénales pour les policiers ? – après l’affaire Théodore Luhaka

Sociologue

Dans « l’affaire Théo », après deux semaines d’audience, la cour d’assises du tribunal de Bobigny a condamné le principal policier accusé à 12 mois de prison avec sursis et 3 mois avec sursis pour les deux autres. Comment expliquer ce délibéré alors que le préjudice physique et moral subi par la victime, Théodore Luhaka, a été reconnu suite à une interpellation particulièrement traumatisante ?

Vendredi 19 janvier 2024 : il y avait un mélange d’apaisement et de colère à l’annonce du délibéré de la cour d’assises du tribunal de Bobigny, après deux semaines d’audience, condamnant les trois policiers mis en examen à 12 mois avec sursis pour le principal accusé et 3 mois avec sursis pour les deux autres. Et à nouveau, il y avait de quoi s’interroger ; non pas tant sur cette décision de justice en soi que sur la volatilité d’un problème d’ordre politique dissout dans le rituel du procès pénal et l’habile rhétorique de ses acteurs.

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Si l’acquittement demandé par les avocats de la défense n’a pas été obtenu, comment expliquer ce délibéré alors que le préjudice physique et moral subi par la victime a été reconnu suite à une interpellation particulièrement traumatisante ? Est-ce l’absence de peine de prison ferme qui devrait émouvoir, ou – à nouveau – la minimisation de la brutalité des violences exercées ?

Ce que l’on a appelé « l’affaire Théo » (du nom de Théodore Luhaka) a soulevé bien des questions ; celle en amont de la politique de gestion des risques des quartiers populaires ; celle en aval des conditions requises d’une pénalisation des illégalismes policiers ; et celle, plus généralement, de la violence politique d’État dans son caractère bien souvent insaisissable.

Longtemps invisibilisée, cette violence d’État est un fait : elle a sévit durant la séquence des années 1960 avec, notamment, « les massacres d’État » durant la guerre d’Algérie et en Guadeloupe[1], puis lors des années 1970, où une police des quartiers et une jurisprudence des « crimes racistes ou sécuritaires » marqué par une culture de l’impunité se sont progressivement mises en place[2]. La violence d’État, c’est de l’histoire, dans son déni même. On se souviendra à la phrase historique d’Emmanuel Macron face aux nombreuses protestations dénonçant les violences des « forces de l’ordre » contre des manifestants désarmés, en plein mouvement des « gilets jaunes » : « Ne parlez pas de r


[1] Jean-Luc Einaudi, 17 octobre 1961, Seuil, 1991 ; Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962. Une anthropologie historique des massacres d’État, Folio, 2006 ; Elsa Dorlin, avec Jean-Pierre Sainton et Mathieu Rigouste, Guadeloupe, mai 1967. Massacrer et laisser mourir, Libertalia, 2023.

[2] Mogniss H. Abdallah, Rengainez, on arrive !, Libertalia, 2012 ; Michel Kokoreff, Violences policières, une généalogie de la violence d’État, Textuel, 2020.

[3] Voir l’entretien d’Egon Bittner et Jean-Paul Brodeur dans Crime, Law and Social Change, n°48, 2007, p. 105-132 ; Renaud Fillieule et Fabien Jobard, Politiques du désordre. La police des manifestations en France, Seuil, 2020, p. 119.

[4] L’inversion hiérarchique consiste, tout le long de la ligne hiérarchique et de bas en haut, d’enregistrer, classer, « filtrer » les initiatives et les décisions des exécutants pour les intégrer dans les cadres et les codes des activités légitimes strictement définies dans l’organisation et, le cas échéant, les sanctionner. Voir Dominique Monjardet, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, La Découverte, 1996, p. 35-62.

[5] @cerveaux non-disponibles, 20 janvier 2024.

[6] Max Weber, Le savant et le politique, Plon, 1959, p. 120.

[7] Sonia Dayan, Michael Löwy, Eleni Varikas, « Max Weber victime des violences policières », Médiapart, 20 décembre 2020.

[8] Dans un rapport de 2017, le Défenseur des droits a expliqué que 80 % des personnes correspondant au profil de « jeune homme perçu comme noir ou arabe » déclarent avoir été contrôlées dans les cinq dernières années (contre 16 % pour le reste des enquêtés).

[9] Fabien Jobard et René Lévy, Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris, Open Society Justice initiative, New York, 2009. 79p.

[10] Voir les travaux de Jérôme Gauthier, et notamment, « Origines contrôlées. Police et minorités en France et en Allemagne, Sociétés contemporaines, vol. 1, n° 97, 2015, p. 101-127.

[11] Ibid.

[12] Pour une analyse minutieuse, e

Michel Kokoreff

Sociologue, Professeur de sociologie à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

Notes

[1] Jean-Luc Einaudi, 17 octobre 1961, Seuil, 1991 ; Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962. Une anthropologie historique des massacres d’État, Folio, 2006 ; Elsa Dorlin, avec Jean-Pierre Sainton et Mathieu Rigouste, Guadeloupe, mai 1967. Massacrer et laisser mourir, Libertalia, 2023.

[2] Mogniss H. Abdallah, Rengainez, on arrive !, Libertalia, 2012 ; Michel Kokoreff, Violences policières, une généalogie de la violence d’État, Textuel, 2020.

[3] Voir l’entretien d’Egon Bittner et Jean-Paul Brodeur dans Crime, Law and Social Change, n°48, 2007, p. 105-132 ; Renaud Fillieule et Fabien Jobard, Politiques du désordre. La police des manifestations en France, Seuil, 2020, p. 119.

[4] L’inversion hiérarchique consiste, tout le long de la ligne hiérarchique et de bas en haut, d’enregistrer, classer, « filtrer » les initiatives et les décisions des exécutants pour les intégrer dans les cadres et les codes des activités légitimes strictement définies dans l’organisation et, le cas échéant, les sanctionner. Voir Dominique Monjardet, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, La Découverte, 1996, p. 35-62.

[5] @cerveaux non-disponibles, 20 janvier 2024.

[6] Max Weber, Le savant et le politique, Plon, 1959, p. 120.

[7] Sonia Dayan, Michael Löwy, Eleni Varikas, « Max Weber victime des violences policières », Médiapart, 20 décembre 2020.

[8] Dans un rapport de 2017, le Défenseur des droits a expliqué que 80 % des personnes correspondant au profil de « jeune homme perçu comme noir ou arabe » déclarent avoir été contrôlées dans les cinq dernières années (contre 16 % pour le reste des enquêtés).

[9] Fabien Jobard et René Lévy, Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris, Open Society Justice initiative, New York, 2009. 79p.

[10] Voir les travaux de Jérôme Gauthier, et notamment, « Origines contrôlées. Police et minorités en France et en Allemagne, Sociétés contemporaines, vol. 1, n° 97, 2015, p. 101-127.

[11] Ibid.

[12] Pour une analyse minutieuse, e