Social

Les chauffeurs Uber, appâtés et piégés dans un travail pour immigré

Sociologue

Le Parlement européen devrait prochainement adopter une directive visant à améliorer les conditions de travail et les droits sociaux des travailleurs des plateformes numériques. C’est l’occasion de pointer que si Uber parvient encore à trouver de la main d’œuvre c’est d’abord et avant tout en tirant parti de la position subalterne occupée par des hommes racisés dans l’ordre social.

En décembre 2021, la Commission européenne lance une proposition de directive pour améliorer les conditions de travail et les droits sociaux des travailleurs des plateformes numériques en instaurant une présomption de salariat. Il faudra des années avant qu’elle soit adoptée, et ce juste dans la dernière ligne droite. Après un vote négatif le 16 février 2024, un accord est finalement trouvé le 11 mars qui devrait être confirmé prochainement par le Parlement européen. Si la version adoptée est bien moins ambitieuse que le projet initial de la Commission européenne, elle introduit néanmoins le principe de présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes. Seule la France continue de s’y opposer.

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Et pourtant, une enquête sociologique menée auprès d’une centaine de chauffeurs Uber à Paris, Londres et Montréal[1], population emblématique du « capitalisme de plateforme »[2], montre que ces derniers sont bien des travailleurs « hybrides »[3]. Leur activité est encadrée par la plateforme, mais ils ne bénéficient pas des protections et des droits associés au statut salarié ; ils doivent assumer les risques de l’activité, mais sans jouir de l’autonomie associée au statut d’indépendant. Ils ont tous les inconvénients des deux statuts d’emploi, sans aucun des avantages associés.

On peut d’ailleurs s’étonner que la plateforme trouve encore de la main d’œuvre, tant les conditions de travail et d’emploi des chauffeurs Uber paraissent dissuasives. Et pourtant, elle ne rencontre aucune difficulté en la matière, comme en témoignent les longues files d’attente devant le siège pour s’y inscrire. On constate parmi ces candidats une surreprésentation d’hommes racisés. La racialisation, qui désigne « les logiques de production des hiérarchies raciales dans telle ou telle société donnée »[4], est en effet un principe d’organisation du capitalisme de plateforme[5].

Uber tire parti de la position subalterne occupée par ces hommes racisés dans l’ordre social pour dispose


[1] Bernard S. (2023), UberUsés. Le capitalisme racial de plateforme à Paris, Londres et Montréal, Paris, Puf.

[2] Abdelnour S., Bernard S. (2018), « Mobiliser le travail, contourner les régulations », La Nouvelle Revue du Travail [en ligne], n° 13.

[3] Dupuy Y. et Larré F. (1998), « Entre salariat et travail indépendant : les formes hybrides de mobilisation du travail », Travail et Emploi, no 4, p. 1-14.

[4] Mazouz S. (2020), Race, Paris, Anamosa.

[5] Gebrial D. (2022), « Racial platform capitalism: Empire, migration and the making of Uber in London », Environment and Planning A : Economy and Space.

[6] Voiture de transport avec chauffeur

[7] Op. cit. Mazouz, 2020.

[8] Akermann, G., Cloutier L., Dubois F. (2014), « Entrepreneurs pluriactifs », Pierre-Marie Chauvin éd., Dictionnaire sociologique de l’entrepreneuriat. Presses de Sciences Po, p. 259-274.

[9] Rosenblat A. (2018), Uberland: How algorithms are rewriting the rules of work, Oakland, California University Press.

[10] Benvegnù, C., Bernard, S. (2023), « La bourse ou la vie : Régimes temporels et normes parentales chez les chauffeurs Uber à Paris et à Montréal », Revue des politiques sociales et familiales, n° 149, 55-72.

[11] Sauviat C. (2019), « Le modèle d’affaires d’Uber : un avenir incertain », Chronique Internationale de l’IRES, vol. 168, n° 4, p. 51-71.

[12] Sayad A. (1999), « L’immigré, OS à vie », La Double Absence. Des illusions de l’émigré́ aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, p. 234-253.

[13] « Uber Files » : révélations sur le deal secret entre Uber et Emmanuel Macron à Bercy », Le Monde, 10 juillet 2022.

Sophie Bernard

Sociologue, Professeure de sociologie à l'Université Paris-Dauphine, chercheuse à l'IRISSO

Notes

[1] Bernard S. (2023), UberUsés. Le capitalisme racial de plateforme à Paris, Londres et Montréal, Paris, Puf.

[2] Abdelnour S., Bernard S. (2018), « Mobiliser le travail, contourner les régulations », La Nouvelle Revue du Travail [en ligne], n° 13.

[3] Dupuy Y. et Larré F. (1998), « Entre salariat et travail indépendant : les formes hybrides de mobilisation du travail », Travail et Emploi, no 4, p. 1-14.

[4] Mazouz S. (2020), Race, Paris, Anamosa.

[5] Gebrial D. (2022), « Racial platform capitalism: Empire, migration and the making of Uber in London », Environment and Planning A : Economy and Space.

[6] Voiture de transport avec chauffeur

[7] Op. cit. Mazouz, 2020.

[8] Akermann, G., Cloutier L., Dubois F. (2014), « Entrepreneurs pluriactifs », Pierre-Marie Chauvin éd., Dictionnaire sociologique de l’entrepreneuriat. Presses de Sciences Po, p. 259-274.

[9] Rosenblat A. (2018), Uberland: How algorithms are rewriting the rules of work, Oakland, California University Press.

[10] Benvegnù, C., Bernard, S. (2023), « La bourse ou la vie : Régimes temporels et normes parentales chez les chauffeurs Uber à Paris et à Montréal », Revue des politiques sociales et familiales, n° 149, 55-72.

[11] Sauviat C. (2019), « Le modèle d’affaires d’Uber : un avenir incertain », Chronique Internationale de l’IRES, vol. 168, n° 4, p. 51-71.

[12] Sayad A. (1999), « L’immigré, OS à vie », La Double Absence. Des illusions de l’émigré́ aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, p. 234-253.

[13] « Uber Files » : révélations sur le deal secret entre Uber et Emmanuel Macron à Bercy », Le Monde, 10 juillet 2022.