International

Narcoviolence, politique et société en Équateur

Sociologue

Autrefois considéré comme un havre de paix en Amérique latine, l’Équateur fait face à une explosion des violences criminelles depuis le mois de janvier. Tout a commencé avec l’évasion du trafiquant de drogue Fito. Le jeune président Daniel Noboa déclare son pays « en guerre » contre les gangs, à l’instar du Salvador.

Petit pays pétrolier de 17 millions d’habitants doté d’un patrimoine écologique et d’une diversité ethnolinguistique unique au monde, l’Équateur a longtemps été considéré comme une « île de paix » en Amérique latine, voire une véritable « Suisse des Andes ».

publicité

La vague de violence qui déferle sur cette nation andine depuis 2018 – et qui a connu un regain explosif et très médiatisé début janvier 2024 – tétanise la scène politique interne et suscite débats et interrogations au niveau international.

Pourtant, les racines de cette violence sont apparues il y a une vingtaine d’années. Selon le site InSight Crime, le cartel mexicain de Sinaloa s’est intéressé à l’Équateur dès 2003 et y est implanté au moins depuis 2009[1]. Pour certains analystes, dont l’ex-président Rafael Correa (au pouvoir entre 2007 et 2017), c’est l’évolution des routes de la drogue vers l’Amérique du Nord qui aurait déclenché la ruée des cartels sur l’Équateur. D’autres, comme le journaliste italien Roberto Saviano, célèbre auteur de Gomorra, y voient plutôt la conséquence d’une rupture des arrangements des trafiquants mexicains et colombiens avec l’establishment politique et militaire du Venezuela. Ce qui est certain, c’est que la localisation stratégique du littoral équatorien, l’intensité du commerce maritime lié à une économie dans laquelle prédomine l’exportation de matières premières, la dollarisation du pays (en 2000) et la relative abondance pétrolière, constituent d’incontestables « avantages comparatifs » aux yeux des cartels.

Rétrospectivement, on peut estimer que la montée en puissance des organisations criminelles axées sur la chaîne de valeur internationale de la cocaïne était sans doute inévitable en Équateur depuis une quinzaine d’années. Cela dit, l’analyse de la chronologie et de la phénoménologie de la violence liée au trafic ne doit pas nous empêcher d’évaluer la part de responsabilité respective des divers acteurs politiques, ne serait-ce que pour nous faire une idée sin


[1] Le 25 février 2009, la DEA avait effectué une saisie de 59 millions de dollars lors de l’arrestation de 750 membres de ce cartel dans le cadre de l’opération « Xcellerator ».

[2]  2 746 403 habitants en 2022, devant la capitale, Quito (2 679 722 habitants).

[3] Elles sont officiellement au nombre de 22, qui regrouperaient entre 32 000 et 35 000 individus

[4] Toujours selon Insight Crime.

[5] Le budget général de l’État équatorien était de 30 milliards de dollars en 2016, 29 milliards en 2021, et atteint 35,5 milliards de dollars pour 2024, source : Ministerio de Economía y Finanzas.

[6] Près de 3 000 d’entre eux seraient concernés.

[7] Santiago Abascal, dirigeant du parti d’extrême-droite espagnol Vox, qui entretient des liens étroits avec de nombreux partis ultra-conservateurs d’Amérique latine, a récemment déclaré que le « narco-communisme » latino-américain était une des principaux dangers menaçant l’Occident. En janvier 2024, Diana Mondino, la ministre des Affaires étrangères du nouveau président ultra-libéral argentin Javier Milei, a apporté son soutien au gouvernement équatorien en attribuant l’explosion de violence dans ce pays andin à des « groupes socialistes narcoterroristes ». Dans la réalité, non seulement les orientations idéologiques et les politiques publiques des divers gouvernements « de gauche » latino-américains sont très variées et parfois diamétralement opposées (sans compter que l’appartenance à la gauche de certains d’entre eux est elle-même très contestée), mais leur rapport à la question du narcotrafic est lui aussi très loin d’être homogène.

[8] On constate effectivement une baisse drastique du taux d’homicides, passé de 15,9 à 5,8 pour 100 000 habitants entre 2007 et 2017.

[9] Le fait que ce soit dans le Venezuela « socialiste » et « révolutionnaire » (hier allié privilégié du gouvernement de Rafael Correa), que le degré d’imbrication du narcotrafic avec des pans entiers de l’institution militaire et de la nomenklatura politique « boli

Sunniva Labarthe

Sociologue, Chercheuse affiliée au laboratoire CESPRA

Notes

[1] Le 25 février 2009, la DEA avait effectué une saisie de 59 millions de dollars lors de l’arrestation de 750 membres de ce cartel dans le cadre de l’opération « Xcellerator ».

[2]  2 746 403 habitants en 2022, devant la capitale, Quito (2 679 722 habitants).

[3] Elles sont officiellement au nombre de 22, qui regrouperaient entre 32 000 et 35 000 individus

[4] Toujours selon Insight Crime.

[5] Le budget général de l’État équatorien était de 30 milliards de dollars en 2016, 29 milliards en 2021, et atteint 35,5 milliards de dollars pour 2024, source : Ministerio de Economía y Finanzas.

[6] Près de 3 000 d’entre eux seraient concernés.

[7] Santiago Abascal, dirigeant du parti d’extrême-droite espagnol Vox, qui entretient des liens étroits avec de nombreux partis ultra-conservateurs d’Amérique latine, a récemment déclaré que le « narco-communisme » latino-américain était une des principaux dangers menaçant l’Occident. En janvier 2024, Diana Mondino, la ministre des Affaires étrangères du nouveau président ultra-libéral argentin Javier Milei, a apporté son soutien au gouvernement équatorien en attribuant l’explosion de violence dans ce pays andin à des « groupes socialistes narcoterroristes ». Dans la réalité, non seulement les orientations idéologiques et les politiques publiques des divers gouvernements « de gauche » latino-américains sont très variées et parfois diamétralement opposées (sans compter que l’appartenance à la gauche de certains d’entre eux est elle-même très contestée), mais leur rapport à la question du narcotrafic est lui aussi très loin d’être homogène.

[8] On constate effectivement une baisse drastique du taux d’homicides, passé de 15,9 à 5,8 pour 100 000 habitants entre 2007 et 2017.

[9] Le fait que ce soit dans le Venezuela « socialiste » et « révolutionnaire » (hier allié privilégié du gouvernement de Rafael Correa), que le degré d’imbrication du narcotrafic avec des pans entiers de l’institution militaire et de la nomenklatura politique « boli