Écologie

Une science des pollutions au service des territoires : les instituts écocitoyens

Sociologue

Comment « faire sens en commun » des phénomènes de pollution si les expériences ordinaires sont systématiquement niées au profit de données générées par un nombre réduit de capteurs dont les angles morts ne sont jamais explicités ? En multipliant les instituts écocitoyens, organisations scientifiques et citoyennes d’un nouveau genre, à l’instar de celui né à Fos-sur-Mer.

Régulièrement, à l’occasion d’accidents industriels, tels les incendies de Lubrizol à Rouen, en 2019, ou celui de la SNAM à Viviez, début 2024, les autorités prennent la parole pour rassurer les riverains. Elles le font, bien souvent, sur la base d’estimations, avant d’avoir mené toutes les investigations nécessaires sur la toxicité des fumées et des effluents.

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Des recommandations de confinement ou des restrictions d’usages peuvent être formulées, mais les discours se veulent généralement apaisants. L’objectif est de préserver l’ordre social – avant d’en savoir plus.

Lors des enquêtes sociologiques menées dans le golfe de Fos, en préparation du livre Habiter la pollution industrielle : expériences et métrologies citoyennes de la contamination [1], nous avons été confrontés à ces discours rassurants dans des situations de moindre intensité. Le 18 mai 2015, après un entretien à Port-Saint-Louis du Rhône, nous arpentions le littoral à la rencontre de pêcheurs et avons remarqué d’épaisses fumées noires qui s’échappaient des cheminées de Naphatachimie Lavéra. Il s’agissait d’un épisode de « torche », une opération préventive qui consiste à brûler des gaz pour faire baisser la pression des installations industrielles concernées, dans des phases d’arrêt, de redémarrage ou bien en cas de défaillance technique. Ce jour-là, la radio relaya un message de la préfecture indiquant que les niveaux de dioxyde de soufre n’avaient pas augmenté. Les industriels et les autorités comptaient sur le Mistral pour disperser la plus grande partie des polluants au large.

Comme ces torches se reproduisent régulièrement, nous avons commencé à les compter. Nous avons relevé, chaque fois, les déclarations des autorités qui, relayées par la presse, minimisent les pollutions et, dans le même temps, les perceptions des riverains. La citation suivante, relative à un autre épisode de torche survenu à l’Étang de Berre en 2020, a plus particulièrement retenu notre attention : « contrairement a


[1] Cet ouvrage synthétise les recherches de Christelle Gramaglia dans le golfe de Fos, mais également dans d’autres sites industriels (Salindres, Viviez, Carthagène et Estarreja). Il a été préfacé par Florian Charvolin, sociologue au CNRS, et postfacé par Philippe Chamaret, directeur de l’Institut écocitoyen de Fos.

[2] Laurence Durandeau, « Berre : un épisode de torche sans pollution atmosphérique », Maritima Médias, 8 septembre 2020.

[3] Charles Perrow, Normal accidents: Living with high risk technologies, Princeton University Press, 2011.

[4] Le Collectif anti-incinération a été formé par la réunion de deux associations locales : l’Association pour la sauvegarde et la défense du littoral du golfe de Fos (ADPLGF) et du Collectif citoyen santé-environnement (CCSE) de Port-Saint-Louis du Rhône – et leurs soutiens écologistes régionaux. Pour une histoire complète des mobilisations, se référer à l’excellente thèse de géographie de Clara Osadtchy.

[5] Il s’agit de l’étude AIGRETTE qui visait à établir un point zéro avant le démarrage de l’incinérateur pour mieux pouvoir évaluer ses conséquences environnementales et sanitaires futures.

[6] L’étude s’appelle EXPERPOL et a été réalisée par un scientifique engagé, Etienne Hannecart pour le CCSE (document transmis par Gérard Casanova, activiste).

[7] Rob Nixon, Slow Violence and the Environmentalism of the Poor, Harvard University Press, 2011.

[8] Isabelle Stengers, Réactiver le sens commun. Lecture de Whitehead en temps de débâcle, Les empêcheurs de penser en rond & La Découverte, 2020.

[9] William R. Freudenburg, « Contamination, Corrosion and the Social Order: An Overview », Current Sociology, 45(3): 19-39, 1997.

[10] Donna Haraway, « Situated Knowledges. The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective », The Science Studies Reader, 1999 ; Christelle Gramaglia, François Mélard, « Participation citoyenne et production de savoirs situés sur les pollutions. Retour sur deux expérimentations de biom

Christelle Gramaglia

Sociologue, Directrice de recherche en sociologie à l’UMR G-EAU de l’INRAE de Montpellier

Notes

[1] Cet ouvrage synthétise les recherches de Christelle Gramaglia dans le golfe de Fos, mais également dans d’autres sites industriels (Salindres, Viviez, Carthagène et Estarreja). Il a été préfacé par Florian Charvolin, sociologue au CNRS, et postfacé par Philippe Chamaret, directeur de l’Institut écocitoyen de Fos.

[2] Laurence Durandeau, « Berre : un épisode de torche sans pollution atmosphérique », Maritima Médias, 8 septembre 2020.

[3] Charles Perrow, Normal accidents: Living with high risk technologies, Princeton University Press, 2011.

[4] Le Collectif anti-incinération a été formé par la réunion de deux associations locales : l’Association pour la sauvegarde et la défense du littoral du golfe de Fos (ADPLGF) et du Collectif citoyen santé-environnement (CCSE) de Port-Saint-Louis du Rhône – et leurs soutiens écologistes régionaux. Pour une histoire complète des mobilisations, se référer à l’excellente thèse de géographie de Clara Osadtchy.

[5] Il s’agit de l’étude AIGRETTE qui visait à établir un point zéro avant le démarrage de l’incinérateur pour mieux pouvoir évaluer ses conséquences environnementales et sanitaires futures.

[6] L’étude s’appelle EXPERPOL et a été réalisée par un scientifique engagé, Etienne Hannecart pour le CCSE (document transmis par Gérard Casanova, activiste).

[7] Rob Nixon, Slow Violence and the Environmentalism of the Poor, Harvard University Press, 2011.

[8] Isabelle Stengers, Réactiver le sens commun. Lecture de Whitehead en temps de débâcle, Les empêcheurs de penser en rond & La Découverte, 2020.

[9] William R. Freudenburg, « Contamination, Corrosion and the Social Order: An Overview », Current Sociology, 45(3): 19-39, 1997.

[10] Donna Haraway, « Situated Knowledges. The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective », The Science Studies Reader, 1999 ; Christelle Gramaglia, François Mélard, « Participation citoyenne et production de savoirs situés sur les pollutions. Retour sur deux expérimentations de biom