Bikini rouge sur fond jaune
J’ai connu Laura durant l’été 1986 à la piscine municipale de la petite ville où nous sommes nés à quelques années d’intervalle – je dois avoir deux ans de plus qu’elle. À vrai dire, je l’ai peut-être rencontrée auparavant, mais je ne m’en souviens plus. Dans une lumière blanche, je me rappelle son bikini rouge vif et ses formes naissantes qui aiguisaient ma libido d’adolescent. J’étais fou d’elle mais bien incapable de l’aborder. Je sortais de l’enfance et imaginais encore nos histoires d’amour potentielles sur le mode de Jane et de Tarzan, de filles à sauver et d’aventuriers miraculeux. J’étais timide et elle était hardie ; j’avais l’impression qu’elle faisait partie de ces filles qui savent à l’avance les effets qu’elles vont produire. Elle était une énigme à mes yeux, un continent de fièvres et de ravins. Me voyait-elle seulement ? Peut-être ? J’étais le fils de l’instit, et jouissais à ce titre d’une sorte de statut remarquable. Elle semblait cependant ne pas y prêter attention. Elle s’amusait à feindre la violence avec des garçons plus musclés que moi, plus audacieux aussi. Elle les embrassaient avec passion et la piscine municipale se recouvrait de ténèbres. C’est à cette époque que j’ai songé pour la première fois à quitter la petite ville et ses gens pleins de rumeurs, d’accent et de Pernod. J’allais partir pour la grande ville, dont j’étais digne, assurément. Il fallait que je sois particulièrement aveugle pour ne pas voir que je fuyais en réalité un bikini rouge vif.
En 1986, la petite ville était en pleine activité. Ses vingt-deux bars, ses huit boulangeries-pâtisseries, ses trois bijoutiers, ses neuf vêtements de prêt-à-porter, ses cordonniers, ses deux libraires, ses marchands de chaussures, de vêtements de sport, ses bouchers, ses charcutiers, ses maraîchers, ses épiciers… et sa piscine municipale où se nouaient et se dénouaient les drames de ma génération. Trois ou quatre patrons locaux étaient les principaux employeurs de la ville. Ils profitaient d