Hommage

Alice Munro la fugitive

Écrivain

Ses histoires sont des filets en spirale faits pour capturer non pas les bancs de poissons mais les cœurs meurtris et féroces, les âmes de femmes abandonnées et abandonneuses, les pièges tendus par des jeunes filles observatrices, aux apparences trompeuses de nigaudes. Prix Nobel de littérature en 2013, Alice Munro est morte la semaine dernière, à 92 ans. Geneviève Brisac lui rend ici hommage en amie.

Alice est morte lundi dans un EHPAD.

Alice Munro, prix Nobel de littérature 2013, nous a quittés. Elle est morte dans la maison de retraite de Port Hope, dans l’Ontario, où elle vivait depuis dix ans. Ce sont deux façons de dire : l’une anonyme, et l’autre pas. Et les deux lui conviennent. C’était le 13 mai 2024. Elle avait 92 ans, et n’écrivait plus depuis des années.

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Le temps sur lequel elle avait tant écrit, – ne parlant à vrai dire, que de cela –, n’avait plus de sens pour elle depuis longtemps. L’Alzheimer, elle l’avait vu venir. Et l’avait raconté en direct, presque en avance, comme tout le reste de sa longue vie. En direct : en racontant une histoire, une histoire tirée d’un fait réel comme on dit aujourd’hui. J’y reviendrai.

Pour le moment je veux simplement dire que j’ai perdu une amie. De ces grandes écrivaines qui vous donnent envie d’écrire et de lire encore et encore pour que le monde soit moins lourd, un peu moins unisexe peut-être, comme on disait autrefois, un peu moins masculin, pour être franche, plus fantaisiste et plus profond.

Parce que c’était une ainée réellement inspirante, si peu écrasante.

C’est cela qui rend triste : elle était tellement présente, tellement drôle et brillante et subtile qu’on n’aurait pas dit un écrivain : des gens trop souvent imbus d’eux-mêmes, de leur écriture, soucieux de notoriété, de gloire, si préoccupés de leur éternité imaginaire. Et si peu fraternels.

On dit qu’elle était timide. La timidité, selon moi, est un état naturel de l’être humain, cela se voit très bien avec les enfants. Rayonnants et timides, cela se peut.

Tous les écrivains devraient s’imprégner du sentiment d’insuffisance et de la timidité des gens normaux. A vrai dire, cela s’appelle le naturel. La délicatesse aussi. Je ne disserterai pas aujourd’hui sur le fait avéré que c’est une façon d’être plus courante chez les écrivaines, pour le moment, que chez leurs collègues masculins. Côté non binaire, d’après mon expérience, cela dépend.

Quoi


Geneviève Brisac

Écrivain