Cinéma

Déprise de vue – sur In Water de Hong Sangsoo

Critique

Constitué de discussions autour de la nourriture, de la température, de l’argent, de visions éparses dont l’intérêt n’est pas directement subordonné à l’avancée d’une intrigue, In Water affirme avant tout un goût pour les petites choses plus que pour les grandes, pour le prosaïque plus que pour l’Art majuscule, pour le processus et les relations qu’il implique plus que pour le produit fini.

D’habitude acteur, Seongmo (Shin Seokho) se trouve sur l’île de Jeju dans l’intention de tourner son premier film comme réalisateur. Deux amis l’accompagnent et l’aident : Namhee (Kim Seungyun) a accepté de jouer, et Sangguk (Ha Seongguk) se charge de l’image.

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Concentré autour de ce trio, In Water parachève le penchant minimaliste du cinéaste coréen. S’il se classe parmi les opus les plus courts d’un cinéaste adepte de la concision en dépassant à peine une heure, il apparaît aussi du point de vue du contenu comme l’un de ses films les plus légers. Sans rapports générationnels ou enjeux de séduction comme pouvaient en offrir récemment dans De nos jours (2023) ou Walk up (2022), les relations sont ici à peine survolées de gênes et de flottements.

In Water frappe d’abord par une tonalité bienveillante et une ligne amicale qui le rapprochent de La Femme qui s’est enfuie (2020), dans lequel Hong Sangsoo reléguait déjà les tensions (et les personnages masculins) à la périphérie pour mettre en scène une série de rencontres entre une femme mariée et trois amies.

Tandis que le petit groupe arpente tranquillement l’île, les repérages prennent dans In Water un air de promenades, ponctués de discussions où s’expriment une confiance mutuelle et une attention respectueuse, comme lorsque Seognmo s’excuse que son budget restreint ne lui permette pas d’offrir un bon restaurant au lieu de piètres sandwichs. Hong Sangsoo ménage toutefois un léger décalage, à l’image d’un plan où l’apprenti cinéaste s’avance sur le bord d’une route avant d’être rejoint par les autres, s’étonnant de la vitesse du pas de leur camarade.

Seongmo apparaît à plusieurs reprises isolé, travaillé par une incertitude liée à son projet – il n’a pas d’idée précise sur ce qu’il va filmer, le tournage tarde à s’enclencher – mais qui pourrait en excéder les limites. Un bref échange avec une habitante à qui il demande quel est le prix du logement à Jeju suggère ainsi qu’il pourrait songer à s’installer sur


[1] Hong Sangsoo a de la suite dans les idées : l’île de Jeju était déjà mentionnée quatre fois dans Walk up, comme un possible ailleurs pour différents personnages.

[2] Il faut prosaïquement noter que le flou est également le relais formel d’un vécu bien réel d’Hong Sangsoo, dont la vue s’est trouvée troublée suite à une maladie oculaire.

[3] « Pour la première fois » car bien qu’il ne sorte en France qu’après lui, In Water a été réalisé avant De nos jours, où l’on voit une étudiante filmer un vieux poète.

[4] La discussion entre Namhee et Sangguk apparaît d’autant plus comme un entre-deux dans le récit qu’elle est intégrée entre deux plans plus « utiles » pour le film de Seongmo : un premier plan bref qui introduit la femme qui ramasse les déchets, puis un autre plan où le cinéaste en herbe l’aborde.

[5] Il était aussi question d’une perception des choses coupées de la profondeur (en l’occurrence de l’illusion de connaissance qui va avec le nom) dans une série de discussions de Ha ha ha (2010). On peut ainsi face à In Water se souvenir d’un échange où le poète retors Jeongho tend des fleurs à la guide touristique Seongok et lui demande ce que c’est, refusant sa réponse lorsqu’elle répond simplement « des fleurs », y voyant une simple convention. La jeune femme dit alors « Si ce n’est pas leur nom alors je vois une belle couleur et une belle forme. Je ressens aussi une bonne énergie vitale. Mais je ne peux pas voir ce qu’elles pensent. Je les aime tout simplement ».

Romain Lefebvre

Critique, Co-fondateur de la revue « Débordements » et chargé de cours à l'université

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Notes

[1] Hong Sangsoo a de la suite dans les idées : l’île de Jeju était déjà mentionnée quatre fois dans Walk up, comme un possible ailleurs pour différents personnages.

[2] Il faut prosaïquement noter que le flou est également le relais formel d’un vécu bien réel d’Hong Sangsoo, dont la vue s’est trouvée troublée suite à une maladie oculaire.

[3] « Pour la première fois » car bien qu’il ne sorte en France qu’après lui, In Water a été réalisé avant De nos jours, où l’on voit une étudiante filmer un vieux poète.

[4] La discussion entre Namhee et Sangguk apparaît d’autant plus comme un entre-deux dans le récit qu’elle est intégrée entre deux plans plus « utiles » pour le film de Seongmo : un premier plan bref qui introduit la femme qui ramasse les déchets, puis un autre plan où le cinéaste en herbe l’aborde.

[5] Il était aussi question d’une perception des choses coupées de la profondeur (en l’occurrence de l’illusion de connaissance qui va avec le nom) dans une série de discussions de Ha ha ha (2010). On peut ainsi face à In Water se souvenir d’un échange où le poète retors Jeongho tend des fleurs à la guide touristique Seongok et lui demande ce que c’est, refusant sa réponse lorsqu’elle répond simplement « des fleurs », y voyant une simple convention. La jeune femme dit alors « Si ce n’est pas leur nom alors je vois une belle couleur et une belle forme. Je ressens aussi une bonne énergie vitale. Mais je ne peux pas voir ce qu’elles pensent. Je les aime tout simplement ».