Sciences

L’éthique à l’épreuve des sciences : logique et médecine

Philosophe

L’éthique n’est pas un savoir, bien qu’elle repose sur un savoir. L’expression « d’éthicien » calquée sur celle de physicien entretient une imposture sur une éthique déliée des contextes de vie et de la connaissance scientifique. L’éthique est intégrative de la science, une éthique relative, parce que procédurale, mais non relativiste car elle repose sur des raisons et des alternatives sans cesse évaluées et discutées, objectives, une éthique qui prend le chemin des aventures conceptuelles de la science, non pour se faire science elle-même, mais pour être suffisamment informée en vue de décrire les dilemmes que les choix humains affrontent tous les jours.

« J’ai toujours honoré ceux qui défendent la grammaire et la logique. On se rend compte cinquante ans après, qu’ils ont conjuré de grands périls » (Proust, Le temps retrouvé). Il y a des questions, qui sans être reformulées, engendrent sur le long terme des crampes mentales aux effets pernicieux. « Tenter de penser l’impossible et ne pas y parvenir »[1], voilà le processus qui déclenche la crampe mentale. Prenons l’exemple du conflit supposé entre « foi et raison ». Beaucoup s’échinent à construire une opposition ou une dualité, là où il n’y a en fait qu’une distinction. Le cinquième considérant de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen proclame la « foi dans les droits fondamentaux » de l’homme. Qui s’aventurerait à dire que cela entre en conflit avec la raison ?

Le mot de « foi », comme celui de piété signifie seulement que l’on cesse de chercher des raisons, que l’on prend un point de départ sans justification, et non que l’on s’oppose à la raison. En revanche, il est sûr qu’il y a une opposition claire entre la superstition et la raison et que beaucoup, dans l’histoire de l’humanité, ont pris la foi pour de la superstition, et pensent ne pouvoir vivre la religion de manière concrète que lorsqu’elle a une bonne dose de superstition. Les analyses de Spinoza dans l’appendice du livre I de L’Éthique restent, à ce titre, exemplaires. Nous convoquons Dieu, et la foi en lui, à chaque fois que nous n’avons pas d’explication, là où la recherche des raisons est non seulement pleinement légitime mais surtout, efficace. Nous finissons par faire de Dieu « l’asile de l’ignorance ».

De fait, bien avant Proust, Montaigne avait souligné le danger des formulations biaisées : « La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiennes » ( Essais, II), ajoutant que « tous les abus du monde s’engendrent de ce qu’on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance ». Chacun y va de son explication, quitte à dire des choses extravagantes


[1] Wittgenstein, Remarques sur les fondements des mathématiques, trad.franç., Gallimard, 1983, p. 85.

  • [2] B. Haynes, D.L. Sackett, J.M.A. Gray, D.J. Cook, G.H. Guyatt, « De la recherche aux
  • pratiques: 1. Rôle des preuves issues de la recherche dans les décisions cliniques » EB Journal n°7 (1997), p. 4-6

[3] A propos de l’Evidence based medicine, par Marie Dominique Beaulieu, Renaldo N. Battista, et Régis Blais, in Ruptures, revue transdisciplinaire en santé, volume 7, N°2, 2001, pp.120-134.

[4] Jeremy Howick, The philosophy of evidence-based medicine, West Sussex, UK, Wiley-Blackwell, 2011, p.4-5.

[5] Hillel D. Braude, Clinical intuition versus statistics : different modes of tacit knowledge in cliniczal epidemiology and evidence-based medecine, Theor Med Bioeth (2009) 30 : 181-198, p.195.

[6] Alvan Feinstein and R.Horwitz, « Problems in the “evidence” of “evidence based medicine” », American Journal of Medicine, (1997), 103, (6) p.529-535.

[7] Marks, H.M., « Rigorous uncertainty », International Journal of epidemiology, (2003), p. 932-937.

[8] Hillel D. Braude, Clinical intuition versus statistics : different modes of tacit knowledge in cliniczal epidemiology and evidence-based medecine, Theor Med Bioeth (2009) 30 : 181-198, p.188.

[9] Wittgenstein, Recherches philosophiques, trad.franç., § 593, Gallimard, 2004, p. 221.

[10] Jean Largeault, Apologie de la logique, dans Passions des Formes, Dynamique qualitative, sémiophysique et intelligibilité à René Thom, sous la responsabilité de Michèle Laporte, ENS Éditions, Fontenay-Saint Cloud, 1994, p. 192-193.

[11] Iris Murdoch, La souveraineté du bien, Éditions L’Éclat, 1994, p.24.

[12] Voir ce que dit Iris Murdoch sur le travail continu de l’attention dans le déroulement d’une action entreprise, in La souveraineté du bien, trad.franç., ed. L’éclat, 1994, p.52.

[13] Jacques Bouveresse, Wittgenstein : la rime et la raison, Les éditions de Minuit, 1973, p.98.

[14] Iris Murdoch, La souveraineté du bien, Éditions L’Éclat,

Ali Benmakhlouf

Philosophe

Notes

[1] Wittgenstein, Remarques sur les fondements des mathématiques, trad.franç., Gallimard, 1983, p. 85.

  • [2] B. Haynes, D.L. Sackett, J.M.A. Gray, D.J. Cook, G.H. Guyatt, « De la recherche aux
  • pratiques: 1. Rôle des preuves issues de la recherche dans les décisions cliniques » EB Journal n°7 (1997), p. 4-6

[3] A propos de l’Evidence based medicine, par Marie Dominique Beaulieu, Renaldo N. Battista, et Régis Blais, in Ruptures, revue transdisciplinaire en santé, volume 7, N°2, 2001, pp.120-134.

[4] Jeremy Howick, The philosophy of evidence-based medicine, West Sussex, UK, Wiley-Blackwell, 2011, p.4-5.

[5] Hillel D. Braude, Clinical intuition versus statistics : different modes of tacit knowledge in cliniczal epidemiology and evidence-based medecine, Theor Med Bioeth (2009) 30 : 181-198, p.195.

[6] Alvan Feinstein and R.Horwitz, « Problems in the “evidence” of “evidence based medicine” », American Journal of Medicine, (1997), 103, (6) p.529-535.

[7] Marks, H.M., « Rigorous uncertainty », International Journal of epidemiology, (2003), p. 932-937.

[8] Hillel D. Braude, Clinical intuition versus statistics : different modes of tacit knowledge in cliniczal epidemiology and evidence-based medecine, Theor Med Bioeth (2009) 30 : 181-198, p.188.

[9] Wittgenstein, Recherches philosophiques, trad.franç., § 593, Gallimard, 2004, p. 221.

[10] Jean Largeault, Apologie de la logique, dans Passions des Formes, Dynamique qualitative, sémiophysique et intelligibilité à René Thom, sous la responsabilité de Michèle Laporte, ENS Éditions, Fontenay-Saint Cloud, 1994, p. 192-193.

[11] Iris Murdoch, La souveraineté du bien, Éditions L’Éclat, 1994, p.24.

[12] Voir ce que dit Iris Murdoch sur le travail continu de l’attention dans le déroulement d’une action entreprise, in La souveraineté du bien, trad.franç., ed. L’éclat, 1994, p.52.

[13] Jacques Bouveresse, Wittgenstein : la rime et la raison, Les éditions de Minuit, 1973, p.98.

[14] Iris Murdoch, La souveraineté du bien, Éditions L’Éclat,