La philanthropie en République : charité privée ou générosité publique ?
Les gestes philanthropiques de nos grandes fortunes font régulièrement débat, à l’instar du récent don de Bernard Arnault aux Restos du cœur. Les uns saluent ces élans de générosité spontanés, tandis que les autres remettent en question le désintéressement de ces gigantesques libéralités, dont les montants s’élèvent souvent à des dizaines voire des centaines de millions d’euros.

La critique est d’abord d’ordre moral : rapportée aux revenus des donateurs, la générosité des plus modestes représente en réalité un effort financier plus important, qui n’est par ailleurs pas compensé par les déductions fiscales dont profitent les plus riches. Elle prend aussi un tour plus politique, lorsque les dons des puissants sont mis en rapport avec le retrait de l’État et le déclin de la redistribution. Donner d’une main tout en se soustrayant à l’impôt de l’autre, n’est-ce pas remettre en question la solidarité nationale ?
La charité privée contre l’État-providence
Au fondement de l’État-providence, il y a en effet le constat que le principe d’égalité est mis à mal par le fonctionnement réel de la société. Les inégalités qu’elle produit ne peuvent être expliquées par les différences de mérite dans la mesure où les individus ne bénéficient pas, au départ, des mêmes conditions.
Autrement dit, la société place les uns dans des situations qui leur permettent plus aisément de faire fructifier leurs talents que les autres, les premiers ont donc une dette envers elle, qui correspond à la créance que détiennent les seconds à son égard. Consentir à l’impôt dans une société démocratique et solidaire, ce n’est donc pas seulement se soumettre à l’autorité de l’État, c’est aussi et surtout reconnaître la contribution de la société à son propre succès économique et consacrer le principe d’égalité des chances qui donne sens à la redistribution.
À l’inverse, préférer le don à l’impôt revient à manifester une inégalité fondamentale, économique mais aussi politique : le mécène choisit les