Rediffusion

Turban des Sikhs en Grande-Bretagne et hijab des musulmanes en France

Angliciste

Au Royaume-Uni, des hommes sikhs portent le turban, y compris lorsqu’ils travaillent dans les services publics, et cela ne pose aucun souci. En France, le voile que revêtent certaines femmes musulmanes a été, au contraire, constitué comme un véritable « problème public ». Comment le comprendre ? Rediffusion d’un article du 3 mai 2024.

Derrière ce qui apparaît comme une dichotomie facile opposant un « nous » républicain et hexagonal à un « eux » « anglo-saxon » et multiculturel se dessinent des trajectoires nationales, coloniales et post-coloniales complexes.

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Au milieu des années 1960, le turban sikh a failli être constitué en problème public par un courant politique assimilationniste de l’autre côté de la Manche, mais il ne l’a finalement jamais vraiment été. A contrario, les controverses sur « le voile » en France ont commencé à occuper le terrain politique et médiatique à la fin des années 1980, engluant la république dans une spirale d’interdiction dont elle ne semble jamais sortir, même pendant le deuxième mandat Macron, soit près de trente-cinq années après la première « affaire du voile » au collège Gabriel Havez de Creil (1989).

Conducteurs de bus enturbannés

On est en 1967 à Wolverhampton, au nord-ouest de Birmingham. Dans cette ville industrielle, d’où l’élu conservateur Enoch Powell allait lancer une vaste campagne anti-immigration sur laquelle je reviendrai, un certain nombre d’immigrés Sikhs travaillent dans des usines ou conduisent des bus. Ces derniers sont très visibles de milliers de citoyens britanniques blancs, qui fréquentent quotidiennement les transports en commun.

Tarsem Sandhu est un de ces bus drivers. En juin 1967, après avoir été malade pendant trois semaines, ce jeune homme de 23 ans retourne au travail en portant un turban et en s’étant laissé pousser la barbe[1]. Pendant son arrêt, il a décidé d’opérer un virage personnel, l’ancrant davantage dans sa religion d’origine, et l’amenant à respecter les cinq piliers du Sikhisme, qu’on appelle souvent « les cinq K ». Le Kesh est l’un de ces préceptes cardinaux, qui suppose de ne pas se couper les cheveux ou les poils du corps, et de se nouer les cheveux[2]. Et c’est ce précepte du Kesh qui est au cœur du versant anglais de cet article.

Dans la ville des Midlands, la régie des transports publics exige des chauffeur


[1] David Feldman, « Why The English Like Turbans : Multicultural Politics in British History », dans David Feldman, Jon Lawrence (eds.), Structures and Transformations in Modern British History, Cambridge University Press, 2011, p. 281-2.

[2] Ces principes furent édictés par le Guru Gobind à la fin du XVIIe siècle. Ils s’appliquent uniformément aux hommes et aux femmes, mais dans la pratique le plus souvent aux hommes. Voir Bernard S. Cohn, Colonialism and Its Forms of Knowledge, Princeton University Press, 1996, p. 109-110.

[3] Ici, Stonehouse fait un jeu de mots entre « rights » (des droits) et « rites » (rituels), jeu de mots intraduisible en français.

[4] Voir par exemple le traitement par la presse étasunienne : Anthony Lewisspecial, « English borough yields on racial symbol », The New York Times, 10 avril 1969.

[5] Shirin Hirsch, In the Shadow of Enoch Powell: Race, Locality and Resistance, Manchester University Press, 2018, p. 83-85.

[6] DeWitt John, Indian Workers Associations in England, Oxford University Press, 1969, p. 17-18.

[7] Cité dans Olivier Esteves, Inside the « Black Box » of White Backlash : Letters of Support to Enoch Powell, Routledge, 2022, p. 175.

[8] En parlant de « voile » à l’époque, on faisait référence au haik traditionnel algérien, pas au hijab ou au chador.

[9] Cité dans Oeuvres, 2011 [1959], respectivement p. 275, 288, 281, 295, 301.

[10] Tous les prénoms utilisés ici sont pseudonymisés.

[11] Abdelmalek Sayad, L’École et les enfants de l’immigration, essais critiques, Seuil, 2014, p. 201-2.

[12] Olivier Esteves, The « Desegregation » of English Schools : Bussing, Race and Urban Space, Manchester University Press, 2018.

[13] La situation, par exemple, à la Réunion est très différente de celle de l’hexagone.

Olivier Esteves

Angliciste, Professeur des Universités, cultures et sociétés anglophones à l'Université de Lille

Notes

[1] David Feldman, « Why The English Like Turbans : Multicultural Politics in British History », dans David Feldman, Jon Lawrence (eds.), Structures and Transformations in Modern British History, Cambridge University Press, 2011, p. 281-2.

[2] Ces principes furent édictés par le Guru Gobind à la fin du XVIIe siècle. Ils s’appliquent uniformément aux hommes et aux femmes, mais dans la pratique le plus souvent aux hommes. Voir Bernard S. Cohn, Colonialism and Its Forms of Knowledge, Princeton University Press, 1996, p. 109-110.

[3] Ici, Stonehouse fait un jeu de mots entre « rights » (des droits) et « rites » (rituels), jeu de mots intraduisible en français.

[4] Voir par exemple le traitement par la presse étasunienne : Anthony Lewisspecial, « English borough yields on racial symbol », The New York Times, 10 avril 1969.

[5] Shirin Hirsch, In the Shadow of Enoch Powell: Race, Locality and Resistance, Manchester University Press, 2018, p. 83-85.

[6] DeWitt John, Indian Workers Associations in England, Oxford University Press, 1969, p. 17-18.

[7] Cité dans Olivier Esteves, Inside the « Black Box » of White Backlash : Letters of Support to Enoch Powell, Routledge, 2022, p. 175.

[8] En parlant de « voile » à l’époque, on faisait référence au haik traditionnel algérien, pas au hijab ou au chador.

[9] Cité dans Oeuvres, 2011 [1959], respectivement p. 275, 288, 281, 295, 301.

[10] Tous les prénoms utilisés ici sont pseudonymisés.

[11] Abdelmalek Sayad, L’École et les enfants de l’immigration, essais critiques, Seuil, 2014, p. 201-2.

[12] Olivier Esteves, The « Desegregation » of English Schools : Bussing, Race and Urban Space, Manchester University Press, 2018.

[13] La situation, par exemple, à la Réunion est très différente de celle de l’hexagone.