Politique

Coluche aurait-il porté un gilet jaune ?

Maîtresse de conférences d’études théâtrales

Si leurs doléances et revendications se retrouvent dans nombre de programmes d’organisations syndicales et politiques actuelles, ce n’est pas vers un leader que se tournent les « gilets jaunes » mais vers la figure d’un artiste disparu depuis trente ans. Pourquoi et comment Coluche est-il devenu l’égérie de ce mouvement ?

Depuis l’automne, sur les réseaux sociaux comme sur les pancartes brandies lors des manifestations, la figure de Coluche, immense vedette comique des années 1970-1980, est très largement convoquée par celles et ceux qui se déterminent « gilets jaunes ».

Les principales revendications, notamment l’augmentation du pouvoir d’achat, la demande de justice fiscale, l’attente de réformes institutionnelles, les dénonciations des violences policières ou encore le rejet de la politique du président Emmanuel Macron sont soutenues par des citations et des extraits de sketchs, qui se mêlent aux images des manifestations et occupations de ronds-points.

Ces reprises permettent aux « gilets jaunes » de soutenir leurs propres idées. Ils et elles profitent ainsi du capital symbolique et politique de l’artiste pour donner de la consistance à leurs revendications.

Fait surprenant, bien que ces doléances se retrouvent dans les programmes d’organisations syndicales et politiques existantes [1], les « gilets jaunes » choisissent Coluche pour illustrer leurs idées. Ils se reconnaissent davantage en un artiste qu’en un leader politique. Le choix de Coluche ne s’explique donc pas seulement par des revendications qui seraient communes. D’ailleurs, comment savoir si Coluche aurait porté un gilet jaune aujourd’hui ? Ce serait jouer au devin que d’affirmer que son ancrage idéologique n’aurait pas vrillé d’un tour [2]. Il s’agit plutôt ici de comprendre pourquoi Coluche est convoqué et accepté par une majorité de « gilets jaunes », plus de trente ans après sa mort.

Coluche et « Nous »

Selon une étude menée par le CNRS [3], les « gilets jaunes » sont majoritairement des inactifs, notamment des retraités, des personnes issues des classes populaires (ouvriers et employés) et aux revenus modestes. Sur les personnes interrogées, un quart vit dans un foyer dont le revenu est inférieur à 1200 euros, la moitié, inférieur à 1800 euros, et les trois quarts inférieur à 2800 euros. La majorité des « gilets


[1] Pour ne citer qu’une seule des mesures phares réclamées par les « gilets jaunes » : le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) figure dans le programme de Jean-Luc Mélenchon, candidat à l’élection présidentielle, en 2012 puis en 2017. Une proposition de loi est d’ailleurs présentée à l’Assemblée Nationale le 21/02/2019, dans le cadre de la niche parlementaire de la France Insoumise.

[2] Voir, par exemple, les virages politiques opérés par les contestataires des années 1970, et en particulier la trajectoire de Romain Goupil, assistant de Coluche entre 1979 et 1981, qui passe du Comité d’Action Lycéen en 1968 au soutien affiché à Emmanuel Macron aujourd’hui.

[3] Les éléments portant sur le mouvement des « gilets jaunes » sont issus des résultats de l’enquête menée par une centaine de chercheuses et de chercheurs depuis novembre, dans toute la France, lors des manifestations et sur les ronds-points, à l’initiative de chercheuses du Centre Émile Durkheim (CNRS/ Sciences Po) de Bordeaux. Séminaire de présentation des conclusions provisoires de l’enquête #GiletsJaunes, Centre Emile Durkheim, CNRS, Sciences Po, Bordeaux, 30/01/2019.

[4] Coluche, Les copains d’abord, TF1, 2/08/1975.

[5] Coluche, À suivre, RTBF, 30/01/1981.

[6] Pour le détail complet des passages de Coluche dans les médias, voir les annexes de Marie Duret-Pujol, Coluche président : histoire de la candidature d’un con, Le Bord de l’Eau, Bordeaux, 2018.

[7] Coluche, Antenne 2 Midi, Antenne 2, 10 mars 1980.

[8] « J’appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter pour moi, à s’inscrire dans leur mairie et à colporter la nouvelle. TOUS ENSEMBLE POUR LEUR FOUTRE AU CUL

Marie Duret-Pujol

Maîtresse de conférences d’études théâtrales, Université Bordeaux Montaigne

Mots-clés

Gilets jaunes

Notes

[1] Pour ne citer qu’une seule des mesures phares réclamées par les « gilets jaunes » : le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) figure dans le programme de Jean-Luc Mélenchon, candidat à l’élection présidentielle, en 2012 puis en 2017. Une proposition de loi est d’ailleurs présentée à l’Assemblée Nationale le 21/02/2019, dans le cadre de la niche parlementaire de la France Insoumise.

[2] Voir, par exemple, les virages politiques opérés par les contestataires des années 1970, et en particulier la trajectoire de Romain Goupil, assistant de Coluche entre 1979 et 1981, qui passe du Comité d’Action Lycéen en 1968 au soutien affiché à Emmanuel Macron aujourd’hui.

[3] Les éléments portant sur le mouvement des « gilets jaunes » sont issus des résultats de l’enquête menée par une centaine de chercheuses et de chercheurs depuis novembre, dans toute la France, lors des manifestations et sur les ronds-points, à l’initiative de chercheuses du Centre Émile Durkheim (CNRS/ Sciences Po) de Bordeaux. Séminaire de présentation des conclusions provisoires de l’enquête #GiletsJaunes, Centre Emile Durkheim, CNRS, Sciences Po, Bordeaux, 30/01/2019.

[4] Coluche, Les copains d’abord, TF1, 2/08/1975.

[5] Coluche, À suivre, RTBF, 30/01/1981.

[6] Pour le détail complet des passages de Coluche dans les médias, voir les annexes de Marie Duret-Pujol, Coluche président : histoire de la candidature d’un con, Le Bord de l’Eau, Bordeaux, 2018.

[7] Coluche, Antenne 2 Midi, Antenne 2, 10 mars 1980.

[8] « J’appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter pour moi, à s’inscrire dans leur mairie et à colporter la nouvelle. TOUS ENSEMBLE POUR LEUR FOUTRE AU CUL