Littérature

Les sciences sociales face à un roman – sur Les Derniers jours du Parti socialiste d’Aurélien Bellanger

Politiste, Politiste

Dans son nouveau roman, Aurélien Bellanger revient, par l’intermédiaire de la fiction, sur les années 2010, celles des attentats et, à leur suite, du Printemps républicain, en partie responsable de la constitution d’une « religion laïque » intolérante envers les musulmans que le macronisme triomphant n’a pas manqué de reprendre à son compte. Un livre qui gagne à être lu par les chercheurs en sciences sociales, à moins que ce ne soit l’inverse.

Comment deux enseignants-chercheurs en sciences sociales peuvent-ils traiter un roman comme celui d’Aurélien Bellanger, Les Derniers jours du Parti socialiste, alors qu’ils ont mené des recherches sur des thèmes abordés centralement par le romancier[1] ? Plusieurs écueils s’offraient à nous.

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Nous aurions pu nous contenter de traiter du roman comme d’un matériau pédagogique servant d’illustration plus imagée à des analyses académiques. Ou, dans une logique de surplomb scientiste, regarder de haut le registre littéraire au nom de La Science. Ou encore, dans une posture postmoderne à penchant relativiste, nous aurions pu aborder textes scientifiques et textes littéraires sur le même plan, comme faisant partie d’un même ensemble de bricolages culturels.

Nous avons préféré faire dialoguer le registre universitaire et le registre romanesque en étant attentifs à leurs particularités et à leurs effets de vérité et de cécité respectifs. C’est dans cette perspective que nous avons traité les sciences sociales et la littérature comme renvoyant à des « jeux de langage » au sens de « la seconde philosophie » de Ludwig Wittgenstein. « L’expression “jeu de langage” doit ici faire ressortir que parler un langage fait partie d’une activité ou d’une forme de vie », écrit ce dernier dans ses Recherches philosophiques[2].

La sociologie politique et la théorie politique, que nous pratiquons, ainsi que le genre romanesque, que pratique Bellanger, seront ainsi appréhendés comme des registres autonomes, appuyés sur des « formes de vie » et d’« activité » partiellement propres, avec des différences entre eux non exclusives de zones d’intersections et d’interactions variables. Sur ce dernier plan, on sait déjà grâce à Wolf Lepenies que les premiers pas historiques de la sociologie peuvent être lus comme une hybridation entre science et littérature[3]. Dans ce cadre, les sciences sociales seront traitées comme des « jeux de langage » particuliers privilégiant le savoir : ce que le b


[1] Voir Philippe Corcuff, La Grande Confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Paris : Textuel, 2021 et Haoues Seniguer, La République Autoritaire. Islam de France et illusion républicaine (2015-2022), Lormont : Le Bord de l’eau, 2022. Il faut ajouter qu’un des deux auteurs de cet article a été chroniqueur, entre 2001 et 2004, à Charlie Hebdo, protagoniste du roman de Bellanger, avant donc la publication par l’hebdomadaire satirique de caricatures de Mahomet, en 2006, qui constitue le moment à partir duquel Les Derniers jours du Parti socialiste s’intéresse surtout à Charlie Hebdo (voir Philippe Corcuff, Mes Années Charlie et après ?, dessins de Charb, Paris : Textuel, 2015).

[2] Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques (manuscrits de 1936-1949), I, § 23, Paris : Gallimard, 2004, p. 23.

[3] Wolf Lepenies, Les Trois Cultures. Entre science et littérature, l’avènement de la sociologie (1985), Paris : Maison des sciences de l’homme, 1990.

[4] Henri Altan, À tort ou à raison. Intercritique de la science et du mythe, Paris : Le Seuil, 1986, pp. 271-293.

[5] Michel Foucault, « Le discours ne doit pas être pris comme… » (1976), in Dits et écrits, II. 1976-1988, Paris : Gallimard, 2001, p. 123.

[6] Philippe Corcuff, Polars philosophie et critique sociale, dessins de Charb, Paris : Textuel, 2013.

[7] Ross Macdonald, Argent Noir (1966), Paris : Gallmeister, 2024.

[8] Pierre Bourdieu, Leçon sur la leçon, Paris : Minuit, 1982, p. 22.

Philippe Corcuff

Politiste, Professeur de science politique à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon, membre du laboratoire de sociologie CERLIS

Haoues Seniguer

Politiste, Maître de conférences en science politique à Sciences Po Lyon, directeur adjoint de l’IISMM

Notes

[1] Voir Philippe Corcuff, La Grande Confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Paris : Textuel, 2021 et Haoues Seniguer, La République Autoritaire. Islam de France et illusion républicaine (2015-2022), Lormont : Le Bord de l’eau, 2022. Il faut ajouter qu’un des deux auteurs de cet article a été chroniqueur, entre 2001 et 2004, à Charlie Hebdo, protagoniste du roman de Bellanger, avant donc la publication par l’hebdomadaire satirique de caricatures de Mahomet, en 2006, qui constitue le moment à partir duquel Les Derniers jours du Parti socialiste s’intéresse surtout à Charlie Hebdo (voir Philippe Corcuff, Mes Années Charlie et après ?, dessins de Charb, Paris : Textuel, 2015).

[2] Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques (manuscrits de 1936-1949), I, § 23, Paris : Gallimard, 2004, p. 23.

[3] Wolf Lepenies, Les Trois Cultures. Entre science et littérature, l’avènement de la sociologie (1985), Paris : Maison des sciences de l’homme, 1990.

[4] Henri Altan, À tort ou à raison. Intercritique de la science et du mythe, Paris : Le Seuil, 1986, pp. 271-293.

[5] Michel Foucault, « Le discours ne doit pas être pris comme… » (1976), in Dits et écrits, II. 1976-1988, Paris : Gallimard, 2001, p. 123.

[6] Philippe Corcuff, Polars philosophie et critique sociale, dessins de Charb, Paris : Textuel, 2013.

[7] Ross Macdonald, Argent Noir (1966), Paris : Gallmeister, 2024.

[8] Pierre Bourdieu, Leçon sur la leçon, Paris : Minuit, 1982, p. 22.