La transition écologique vue depuis les contributions au Grand Débat National
L’occasion du grand débat national offre l’opportunité de s’exprimer à quiconque veut se saisir de quatre grandes thématiques : transition écologique, fiscalité et dépenses publiques, démocratie et citoyenneté, organisation de l’État et services publics.
À côté des débats traditionnels reposant sur une réunion physique dans un lieu défini, le site internet granddebat.fr, offre la possibilité inédite de partager son expérience, ses points de vue et ses préconisations concernant ces quatre même thèmes.
À ce jour, 116 722 contributions ont été postées sur la transition écologique. Elles sont toutes structurées à partir d’un rapide questionnaire comprenant seize questions ouvertes. Ces contributions représentent une formidable fenêtre ouverte sur les français à propos de la transition écologique au sens général, et sans doute plus particulièrement une libre expression sur les questions relatives à la mobilité et au chauffage. Les mots qui suivent sont puisés dans l’examen approfondi d’une partie de ces contributions.
En réalité, on aurait tort de considérer l’ensemble des contributeurs comme représentant la population française. À bien y regarder de près, en majorité, leurs contributions dressent plutôt le portrait de citoyens particulièrement conscientisés sur les questions écologiques. Nombreux sont ceux qui disposent d’une véritable expertise sur un ou plusieurs sujets particuliers. Certains sont obsédés par l’énergie, d’autres par le « consommer local », les insectes, l’huile de palme, le transport ou une énergie en particulier. Pierre H (5 février) pense que le problème environnemental majeur est « la chasse au gibier d’eau ». Sans doute n’a-t-il pas tort de signifier que la chasse ne peut se dérouler de façon désordonnée. Sans doute n’a-t-il pas raison d’y voir l’enjeu primordial auquel notre société fait face. Comme tous les autres, il démontre qu’il sait de quoi il parle. Sa contribution atteste surtout que la sensibilité à l’écologie se développe de façon subjective. La nature nous entoure, la planète nous porte, il y a mille manières de prendre conscience de ce que cela veut dire à l’aulne de notre propre quotidien. La protection du gibier pour les uns, des insectes pour les autres, qu’il s’agisse d’une vision micro ou d’une approche macro, in fine l’écologie a intrinsèquement une dimension holistique. Ce qui fait dire à Luuna024 (25 janvier) qu’« il n’y a pas un problème plus important qu’un autre, la nature est une globalité ». Mis bout à bout, ce patchwork de pratiques vertueuses et inventives dresse le portrait d’une écologie sans doute plus aboutie qu’elle n’y paraît dans la population française. Il est question d’un monde générant une multiplicité d’inquiétudes, de catastrophes en chaines très clairement identifiées, mais aussi de colères issues de la lenteur observée à corriger tant d’outrances.
Ces contributions dépeignent plusieurs manières vertueuses de se comporter individuellement et collectivement sur une planète en partage. Elles nous indiquent qu’il existe en France, une armée de citoyens déjà préparés à vivre différemment, conscients de ce qu’il est urgent de ne plus faire. En revanche, elles nous laissent démunis devant la multitude de ces autres français qui, eux, ne s’expriment pas. Qui sont-ils et quelles sont les limites de ce qu’ils seraient prêts à changer ? Car de toutes évidences, il va s’agir d’efforts à répartir.
Devant le modèle de consommation qui prévaut aujourd’hui, l’écologie pratiquée par ces français s’apparente à un comportement de résistance.
Passer d’un mode de vie néfaste à un nouveau paradigme nécessairement imparfait fait prendre conscience que les gagnants d’aujourd’hui vont lutter pour ne pas être les perdants de demain, de même que les plus précaires vont refuser d’être encore plus fragilisés. Repenser la société à partir des contraintes écologiques conduit à réinventer la condition de l’homme moderne selon le sens défini par Hannah Arendt. C’est à dire imaginer différemment le travail qui apporte la subsistance, l’œuvre sur laquelle s’articule la survie des espèces, et enfin l’action qui permet les interactions notamment politiques, entre les individus.
Ces contributions dévoilent la conscience imprécisément formulée d’un carrefour contemporain que les enjeux écologiques nous forcent à réinventer, la nécessité d’un rendez-vous citoyen désormais imposé. Devant le modèle de consommation qui prévaut aujourd’hui, l’écologie pratiquée par ces français s’apparente à un comportement de résistance. Résistance à la boulimie de consommation, résistance aux déchets, résistance à un certain confort individualiste, résistance contre les sirènes d’un monde dans lequel le pouvoir politique semble contraint pour de multiples raisons : l’emploi, l’économie, la concurrence de la France à l’échelle européenne ou mondiale et sans doute aussi, la force des lobbys.
On peut aussi supposer que cette résistance partagée par ces contributeurs est celle d’individus minoritaires, qui ne se laissent pas aller au désespoir du « rien ne peut changer ». Au contraire, ces résistants de toute la France développent des alternatives, nourris du sentiment de « faire leur part » pour un mieux vivre aujourd’hui qui anticiperait la vie possible demain. S’il ne s’agit pas de révolution en termes de radicalité imposée au collectif, ce mouvement n’en est pas moins une accumulation d’expériences individuelles qui finissent par dessiner, en creux, une exemplarité dont il est attendu qu’elle nourrisse progressivement, à la manière d’une tâche d’encre sur un buvard, une tectonique du changement. « Ça commence par des petits gestes simples à notre échelle » précise Gift (24 janvier).
Par leur volonté individuelle de faire différemment, ces citoyens sont tous les promoteurs d’une citoyenneté vertueuse en matière écologique. Ils sont les précurseurs d’une autre manière d’organiser la satisfaction des besoins, de penser le confort individuel, en résumé, d’inventer une nouvelle modernité. À l’opposé d’une régression, leurs comportements vertueux ne sonnent pas le glas du plaisir, tout en déniant à l’abondance la clef du progrès. Ils permettent juste de clore une parenthèse rendue possible par un capitalisme insuffisamment régulé, historiquement initié par la révolution industrielle et ses promesses d’abondance. Dans ces mots postés sur internet, s’exprime l’effondrement d’une mythologie du progrès infini. Pour autant, il n’est pas systématiquement question de revenir à ce qui prévalait dans le passé. Il s’agit davantage de pondérer des excès aux conséquences avérées, de mettre au pas les illusions qui gouvernent encore aujourd’hui la définition des besoins et leurs satisfactions.
La certitude du « ça ne peut plus continuer » est partagée par tous. Ce qui ressort de ces points de vue c’est que l’heure de la responsabilité a déjà sonné. Il est question de bon sens : « l’énergie la plus écologique c’est celle que l’on n’utilise pas » précise Brulefert (30 janvier). Il est question d’alternatives expérimentées qui attestent qu’il est possible de vivre autrement. Il est aussi question de refuser l’absurdité d’un système de consommation qui représenterait une insulte aux connaissances dont nous disposons aujourd’hui. Derrière la modestie de ces expériences personnelles, il y a la fierté de ne pas adouber des comportements suicidaires dont, in fine, les moins dotés, notamment ceux qui ne sont pas concernés par la richesse des villes dominantes, seront les premières victimes.
Un des succès de cette agora numérique réside dans l’opportunité offerte de mettre en valeur une pensée différente dans un monde dominé par les excès.
Parmi ces contributeurs, nombreux sont ceux qui ont déjà refusé de céder à la schizophrénie d’un monde conscient de l’inéluctable tout en étant happé par une course effrénée vers le danger. Ceux-là ont déjà appuyé sur le bouton OFF de leur consommation. Ils ne semblent pas être des hurluberlus radicalisés mais se présentent plutôt comme des citoyens conscients pour qui danser sur un volcan ne représente pas un projet de société. Derrière leurs contributions se niche probablement une volonté de confesser ce qu’ils font de bien pour la planète, de publier officiellement ici et maintenant (en 2019), une prise de conscience qui peut les rendre fiers et dont ils n’auront pas, lors de vents mauvais, à se sentir coupables. De la modestie des expériences personnelles à l’affichage publics de ses propres comportements vertueux, un des succès de cette agora numérique réside dans cette opportunité offerte de mettre en valeur une pensée différente dans un monde dominé par les excès. Pour un grand nombre de ces contributeurs, la transition écologique est déjà une réalité de tous les jours. Leur frustration c’est de n’être pas suffisamment accompagnés pour faire davantage, de se sentir isolés dans leurs propres efforts.
La pollution de l’air, la croissance démographique ou la disparition des espèces, sont des inquiétudes moins fédératrices que le simple énoncé évoquant le « dérèglement climatique ». Sans surprise, il apparaît que les réponses formulées ne sont pas monolithiques. Si les constats sont partagés, probablement en écho aux grands sujets écologiques abondamment débattus dans les médias, les points de vue individuels font apparaître un certain nombre de contradictions. Plaider pour une croissance différente ou laisser poindre les arguments de la décroissance, les solutions inspirant les uns ne sont pas forcément les solutions inspirant les autres.
Plutôt que de regarder ces contradictions comme un écueil insurmontable, il faut sans doute chercher à travers l’articulation de ces opinions parfois divergentes, la véritable matière des débats à poser dans l’espace public. Quel type d’énergie doit-on privilégier ? Comment penser le national, le régional et l’international ? De quelles entités politiques doit-on attendre une incitation au changement ? Municipalités, régions, départements, État, Europe ? Quelles sont les priorités les plus prioritaires parmi un ensemble d’urgences identifiées ? À quelle échelle géographique les révolutions écologiques doivent-elles être pensées ? À la manière d’un défi qui se pose à notre génération, la transition écologique offre un boulevard de réflexions pour repenser notre manière de faire civilisation, bien au-delà des questions purement écologiques.
Cependant, la somme de ces points de vue souffre aussi d’un écueil, il manque une expertise sur l’impact de ces révolutions proposées. Rien ne permet d’évaluer la faisabilité des préconisations énoncées. L’urgence à changer de façon radicale ou progressive, s’exprime parfois à distance de certains principes de réalité. Dans un monde ultra concurrentiel, comment, par exemple, penser la liberté de la France à faire différemment ? D’un côté on lit des constats pour la plupart irréfutables, de l’autre on ne trouve pas forcément d’évaluation des coûts économiques, politiques et sociaux des réformes envisagées. Derrière ces aspects pratiques qui font défaut, se niche la pertinence d’un débat à venir, autant que la nécessité d’inscrire ces enjeux dans un réalisme temporel : qu’est-ce qui peut être fait et à quel horizon ?
En matière de financement de la transition écologique dont le coût est bien intégré, se dégage un consensus simple à formuler et probablement plus complexe à mettre en place. À la manière d’un slogan politique, l’expression « pollueur payeur » rassemble les opinions formulées, faisant écho à un souci de justice de la part des contributeurs. D’une certaine manière, ces citoyens vertueux prennent déjà leur part dans la responsabilité collective vis-à-vis de la planète, par des arbitrages quotidiens qui parfois relèvent d’efforts ou de privations. Avant tout, il leur semble donc évident de faire peser le prix de la transition sur ceux dont le profit (ou le mode de vie) est corrélé à la mise en péril de notre écosystème.
Le retour au local sort grand vainqueur de cette consultation.
Les entreprises seraient ainsi les premières à devoir payer pour le réchauffement de la planète qu’elles induisent. Les compagnies aériennes devraient être mises à contribution à l’instar de tous les autres types de transport. Les porte containers et leur mazout polluant mais aussi les transporteurs routiers sont abondamment cités comme étant des pollueurs insuffisamment taxés. Dans un œcuménisme surprenant, on voit refleurir l’idée de l’écotaxe « sur les autoroutes près des frontières pour que les transporteurs étrangers participent à l’utilisation des routes françaises, surtout que tous les portiques existent » (Salvetti, 10 février). Une manière comme une autre de favoriser la consommation des biens qui ne nécessitent pas de transport. Le retour au local sort grand vainqueur de cette consultation. Sur des sujets comme le chauffage, le transport ou l’emballage, tous les pollueurs, du plus petit au plus grand, de l’individuel au collectif, devraient se voir imposer une taxation à la hauteur de leur impact en termes de pollution.
Parmi les idées évoquées, une fiscalité ingénieuse consisterait à taxer faiblement les consommations de première nécessité et à imposer une taxation forte voire très forte pour tout ce qui relève d’usages excessifs ou non-indispensables. Ainsi l’eau consommée pour la vie courante (l’hygiène et la cuisine) serait modérément taxée à hauteur d’un nombre réduit de m³ calculés par habitant, incitant chacun à des économies. Au-delà de cette utilisation raisonnable et stricte, l’eau utilisée pour arroser le jardin, remplir la piscine ou les baignoires, subirait une taxation prohibitive. Ces contributions attestent d’un lien étroit entre écologie et social, autour d’un principe d’équité reposant sur une distinction entre le nécessaire et le superflu.
De la même manière, la taxation viendrait corriger les inégalités géographiques en donnant une « prime à la ruralité » (Citoyenne, 22 janvier). La voiture individuelle étant indispensable là où il n’y a pas de transport en commun, son usage ne doit pas être soumis à la même contribution fiscale. Ce jeu de punition/récompense porte en lui des idéaux de justice au cœur d’un projet commun. Il semble acquis que la transition écologique ne peut se penser de façon identique en ville et en campagne, à Paris et en région. Deux France se font face. Grandes lignes et réseaux secondaires, transports de passagers et ferroutage, le train s’affiche comme la vedette de l’écologie vertueuse. Parmi les sévérités suggérées, il est clair pour tous que l’avion ne doit jamais entrer en concurrence avec le train. Chacun s’accordant d’ailleurs à considérer que les trajets en compagnie low-cost à 25€ relèvent d’une aberration qui rappelle qu’il est urgent de taxer le kérosène.
Développer les transports publics et les rendre gratuits grâce à la fiscalité écologique, est fréquemment envisagé, de même que le remboursement partiel par l’employeur des trajets en co-voiturage. Tandis que ces français avertis ne semblent pas être dupes quant à la véritable empreinte écologique de la voiture électrique générant des « désastres écologiques dans d’autres parties du monde » (Sad64, 24 janvier). Elles ne semblent séduire que les urbains (Ludovic, 16 février), ceux-là même qui devraient, à l’avenir, se passer de voiture.
En matière de déchets et de pollution, nombreux sont ceux qui s’accordent sur le fait que la loi n’est pas suffisamment autoritaire, comme si le politique pliait systématiquement devant les industriels. Les français qui ont répondu à ce questionnaire sont lassés d’être des spectateurs passifs de l’impunité en matière de délinquance écologique. Aujourd’hui, ils requièrent l’interdiction immédiate des toxiques reconnus et la réparation des dégâts causés par la pollution des sols et des ressources en eau. Isabelle (23 janvier) précise : « Tout produit de consommation doit trouver son équivalent écologique de même performance et de même coût ». La transition écologique doit être une offre faite à tous. Pour une question d’équité, la vertu écologique ne peut pas se résumer à un devoir de citoyens. Il doit aussi s’agir d’une obligation pour les plus « gros pollueurs ». Cela va de la responsabilisation des grandes entreprises à la modeste buvette du match de foot qui doit s’engager au ramassage et au recyclage des canettes vendues.
Devant des urgences à ne plus différer, le ressort de l’action consiste à « ne pas s’enfermer dans des combats idéologiques » précise Begouin (23 janvier), à faire confiance à ceux qui savent, c’est à dire les « scientifiques compétents » plutôt que les « écolo-politiques » (Fredoz, 23 janvier). Et parce que rien ne sert de réinventer la roue, un certain nombre d’audaces victorieuses devraient inspirer les nouvelles tendances : « la France devrait prendre exemple sur certains autres pays européens en matière d’écologie (Norvège, Suède notamment) » (Laura, 7 février). Ou bien revenir à des pratiques plus vertueuses qui avaient fait leurs preuves avant la débauche de modernité. La nostalgie du « c’était mieux avant » n’est pas un principe mais une éventualité qui s’inscrit notamment dans une volonté, voire « une chance de revenir à du local durable, une formidable opportunité de créer des emplois locaux ». (Anorga, 26 janvier).
D’une certaine manière, augmenter la prise de conscience par le « faire peur » doit s’accompagner des encouragements du « faire envie ».
Dans tous les cas, l’écologie doit transiter par une éducation dès le plus jeune âge, mais aussi par une information continuelle des citoyens. Et pourquoi pas, lors du bulletin météorologique quotidien, ajouter un bulletin écologique qui informe sur la qualité de l’air et de l’eau, la pollution par région, mais aussi les succès d’expérimentations écologiques innovantes. D’une certaine manière, augmenter la prise de conscience par le « faire peur » doit s’accompagner des encouragements du « faire envie ».
En matière d’énergie, les contributions font état d’avis relativement divergents. D’un côté, le nucléaire pour certains apparaît comme une folie dont nous ne maitriserions ni le danger immédiat ni les conséquences à long terme : « En Alsace, on ne veut pas un nouveau Tchernobyl, un nouveau Fukushima. En cas d’accident, d’attaque terroriste, ce sera le chaos sur 60 kilomètres à la ronde. La population, la faune, la flore, toute la nature sera détruite » précise Aristochat68 (8 février). D’un autre côté, dans le cadre d’une réflexion portant sur une énergie dé-carbonée, le nucléaire est très fréquemment cité comme une des solutions incontournables (au moins pendant encore quelques dizaines d’années), faisant dire à Jérémy (26 janvier) « La France a une des électricités la plus propre au monde, elle est déjà exemplaire ».
Le plus grand consensus s’articule autour d’une critique partagée des éoliennes. Mal placées, détruisant les oiseaux et le paysage, non fiables, cette énergie tombe sous le feu de contributeurs qui habitent à la campagne. Seuls les projets d’éoliennes off-shore semblent trouver grâce à leurs yeux. Ce qui rassemble tout le monde c’est la certitude que baisser la consommation d’énergie suppose d’améliorer l’isolation des bâtiments. Un projet qui s’avère inimaginable sans le soutien financier des collectivités publiques. Les contributeurs font part des limites de leur propre budget. Seuls, ils ne parviennent pas à être aussi vertueux qu’ils le souhaiteraient. Avec regrets.
Les français qui se sont exprimés n’ont que peu de confiance dans les grandes messes écologiques internationales où se congratulent des chefs d’État. « La COP n’est qu’une assemblée de 200 copropriétaires sans syndic, sans liste de travaux, sans budget et sans répartition de tantièmes, qui doit se mettre d’accord sur tout à l’unanimité sans sanction applicable. Probabilité qu’il en sorte quelque chose = 0 ! » (Guilhem, 22 janvier). Pour ces contributeurs, les maigres succès de la transition écologique relèvent surtout d’efforts individuels, des leurs en particulier. Pourtant l’écologie est clairement perçue comme la clé de voûte du projet politique et social à venir. Au gré des mesures proposées, les incitations doivent émaner de l’État, de la région ou de la municipalité.
Ce que le débat national ne peut évidemment pas traiter, c’est la déclinaison pratique de ces approches. Dans les faits, la refonte du millefeuille composant la société française peut s’apparenter à l’écroulement d’un château de cartes aux conséquences difficiles à évaluer. Dans ce risque, réside le prix de l’urgence, mais aussi l’excitation du défi. « Il faut banaliser l’écologie. Faire en sorte que cela ne soit pas une option » (Laeticia, 31 janvier). À l’échelle mondiale, devant la situation inégale opposant ceux qui subissent en première ligne le changement climatique à ceux qui en sont responsables, la transition écologique ne peut être pensée que de façon équitable. Cette exigence transpire dans toutes ces contributions.
Ce vœu s’exprime aussi dans la nécessité d’aider les pays les plus pauvres à ne pas suivre les orientations délétères des pays riches en matière de développement (Shazam, 23 janvier). Selon les calculs de Lucas Chancel et Thomas Piketty, 10 % des individus les plus riches seraient responsables de 45 % des émissions de gaz carbonique à l’échelle de la terre. Opposer la modestie d’efforts quotidiens subis ou consentis par une multitude de citoyens sensibilisés, à la gabegie des plus fortunés, renferme tous les ressorts d’une explosion sociale à venir. On peut y voir la métaphore d’un bateau fuyant une catastrophe, sur lequel les uns rameraient pour aller plus vite, pendant que les autres se prélasseraient dans des piscines à débordement, l’air conditionné à fond, toutes fenêtres ouvertes, serrant leurs dents sur des toasts de caviar avec une coupe de champagne à la main.
Peut-être ces contributeurs essaient-ils de dire qu’ils ne veulent pas voir entériné le principe d’une société écartelée en deux classes diamétralement opposées. Ne pas être ceux qui paieront la transition écologique comme d’autres avaient payé la transition industrielle. Ne pas être relégués en troisième classe du Titanic, à l’opposé du confort sans scrupule de la première. Ces français n’en ignorent pas l’issue. Le naufrage est attendu, violent et mortel. Il laisse aux survivants le gout amer d’une tonne de regrets qui marqueront l’histoire pendant des temps infinis.