Présidentielle américaine : l’immigration comme enjeu clé
Malgré la baisse importante des arrestations de migrants à la frontière États-Unis/Mexique en 2024, les questions de migrations et de frontières ont été présenté comme autant d’enjeux primordiaux pendant dans la campagne.
Selon un sondage Gallup de juin 2024, 77 % des Étatsuniens pensent que la frontière avec le Mexique est un problème majeur et représente une crise. 55 % souhaitent que l’immigration diminue, un pourcentage en nette augmentation par rapport aux années précédentes (41 % en 2023, 38 % en 2022 et 31 % en 2021). Si en 2022, 70 % des électeurs considéraient que l’immigration était une bonne chose pour les États-Unis, ce chiffre a baissé à 64 % en 2024. Autre chiffre signifiant, 53 % des électeurs sont en faveur de l’expansion des barrières le long de la frontière États-Unis/Mexique.
Tout comme lors des campagnes présidentielles de 2016 et de 2020, le candidat républicain a employé les discours devenus de plus en plus courants sur une soi-disant « invasion » de migrants et un « chaos » à la frontière États-Unis/Mexique qui aurait mené à une « insécurité » sur le territoire états-unien, engendrant un sentiment de peur au sein de ses soutiens.
Afin d’apporter des solutions à la situation à la frontière, il a ainsi dévoilé en octobre, lors d’un rassemblement de campagne à Aurora dans le Colorado, son plan d’une opération de reconduites à la frontière qui serait le plus grand de l’histoire des États-Unis s’il était élu, répétant qu’il fera fermer la frontière avec le Mexique. Lors d’un autre rassemblement dans le Wisconsin, il avait mis en garde les électeurs contre les migrants qui leur « couperaient la gorge ».
Ce type d’informations mensongères fait suite au débat présidentiel de septembre 2024, lors duquel il avait affirmé que les migrants Haïtiens mangeaient des chiens et des chats. Ces attaques nativistes contre les migrants reflètent et contribuent à nourrir dans le même temps les inquiétudes de l’électorat républicain : entre 2019 et 2024, le nombre de républicains qui estiment que les personnes de nationalités et d’ethnicités différentes représentent une menace a augmenté de 21 % à 55 % et voudraient que les niveaux d’immigration diminuent.
Son colistier J.D. Vance accuse également les migrants en situation irrégulière des problèmes économiques et sociaux des États-Unis, affirmant par exemple que le flux de nouveaux immigrants dans certaines régions géographiques des États-Unis aura pour conséquence d’augmenter la pression sur les loyers.
L’agitation à la frontière bénéficie au ticket républicain, pour qui l’immigration, en plus de l’économie et des crimes violents, fait partie des trois priorités pour ces élections de 2024.
Le durcissement des approches migratoires des démocrates
Alors que les Républicains exacerbent leurs discours nativistes, le Parti démocrate adopte une approche de plus en plus stricte sur les contrôles aux frontières et sur l’immigration.
En juin 2024, l’administration Biden a proposé un projet de loi bipartisan qui devait sécuriser davantage la frontière, augmenter le nombre d’agents d’immigration, investir dans la technologie pour arrêter les drogues illicites, et faire fermer la frontière quand le système états-unien était jugé « débordé ».
Si les Républicains au Congrès ont refusé de signer ce projet bipartisan – suivant la demande de Donald Trump qui ne souhaitait pas qu’une solution aux migrations à la frontière fut trouvée, afin de pouvoir rejeter la faute d’une « invasion » sur les Démocrates –, cela n’a pas empêché Joe Biden de signer des ordres exécutifs en juin 2024 pour interdire aux migrants qui traversent la frontière États-Unis/Mexique de manière irrégulière de demander l’asile quand les arrestations à la frontière excèdent les capacités des agents frontaliers de procéder aux arrestations. Il a également rendu plus facile le rapatriement des migrants par les agents de l’immigration, opérant ainsi un durcissement des règles migratoires.
Quant à Kamala Harris, sa position ambivalente en tant que vice-présidente – à savoir pro-immigration mais aussi pro-sécurité à la frontière – a été confirmée quand celle-ci est devenue candidate à la présidentielle. Elle a annoncé vouloir reprendre le projet de Joe Biden de reconduites de migrants à la frontière et de rendre les règles de demandes d’asile plus strictes.
Loin de ses positions modérées sur l’immigration pendant la campagne de 2020 lorsqu’elle soutenait des mesures qui auraient décriminalisé les migrants ayant traversé la frontière de manière irrégulière et qui auraient assoupli les règles de demandes d’asile, elle mise désormais sur des spots publicitaires qui la présentent comme ferme sur ces questions, en mettant l’accent sur son expérience en tant que procureure en Californie dans la lutte contre les organisations criminelles transnationales.
Elle cherche ainsi à démontrer qu’elle adoptera une position similaire de fermeté sur l’immigration, confirmant le revirement à droite du Parti démocrate, et ce aux dépens du droit international à la migration, cherchant à attirer un électorat conservateur.
Les positions des États frontaliers : le cas de l’Arizona et du Texas
Fuyant leurs pays d’origine pour échapper aux crises climatiques, politiques et économiques, les migrants en situation irrégulière qui arrivent aux États-Unis traversent la frontière principalement par l’Arizona et le Texas, deux États qui font de l’immigration un enjeu particulièrement important.
L’Arizona – où les sondages montrent que le candidat républicain Donald Trump et la candidate démocrate Kamala Harris sont au coude-à-coude[1] – est un État-clé (swing state) traditionnellement républicain mais qui avait élu Joe Biden à l’élection présidentielle de 2020, avec seulement 11 000 voix d’avance sur Donald Trump, lui faisant remporter les 11 votes des Grands Électeurs.
C’est pour cette raison que Kamala Harris s’est rendue en septembre 2024 dans la ville frontalière de Douglas (Arizona), dans le comté de Cochise. Ce comté à majorité républicaine fait partie du secteur de Tucson, l’un des secteurs de la frontière États-Unis/Mexique les plus traversés par les migrants en situation irrégulière. De janvier à avril 2024, les agents de la patrouille frontalière y ont arrêté 200 000 migrants, projetant ainsi l’Arizona à nouveau sous le feu des projecteurs. Lors de sa visite dans cette petite ville frontalière d’environ 17 000 habitants, la candidate démocrate a réaffirmé sa volonté de donner au Département de la Justice davantage de moyens pour combattre les organisations criminelles transnationales, et sa volonté de raviver le compromis bipartisan proposé par Joe Biden, à savoir interdire aux migrants qui traversent de manière irrégulière de demander l’asile aux États-Unis.
Sa volonté de démontrer sa position de fermeté au sujet de la sécurité à la frontière s’inscrit également dans un contexte où les électeurs d’Arizona vont devoir voter le 5 novembre, jour de l’élection présidentielle mais aussi de plusieurs scrutins et référendums locaux, pour ou contre la proposition 314 (Arizona Immigration and Border Law Enforcement Measure) qui ferait des immigrants en situation irrégulière des criminels et qui permettrait aux policiers locaux d’arrêter des personnes jugées suspectes d’avoir traversé la frontière États-Unis/Mexique de manière irrégulière.
Malgré les inquiétudes soulevées par les élus locaux sur le manque de personnel, le manque de moyens pour former la police à contrôler la citoyenneté des personnes arrêtées, ou encore sur les conséquences économiques que cette proposition pourrait avoir[2], il est probable que les électeurs en Arizona votent en faveur de la proposition 314, suivant ainsi le Texas et sa loi controversée SB 4.
Au Texas, le gouverneur républicain depuis 2015 Greg Abbott critique la façon dont l’administration démocrate de Joe Biden gère la frontière et les migrations. Il a ainsi décidé de prendre en main lui-même les 2 000 kilomètres de frontières que le Texas partage avec le Mexique en lançant en 2021 l’Operation Lone Star Hold the Line to Defend Southern Border. Cette opération d’un budget d’environ 10 milliards de dollars a fait déployer la garde nationale du Texas à la frontière pour y installer des fils barbelés et des bouées dans le Rio Grande/Rio Bravo et fait envoyer environ 100 000 migrants par bus dans des villes sanctuaires.
Dernièrement, en décembre 2023, le Texas a enregistré un nombre record d’arrestations à la frontière (250 000 migrants arrêtés), ravivant les critiques et les débats autour de l’immigration et de la sécurité à la frontière. Bien que ce chiffre ait diminué les mois suivants (124 000 migrants arrêtés en janvier 2024 et 30 000 au mois de juin 2024), le gouverneur républicain a lancé le projet de loi SB 4 dans le cadre de son Operation Lone Star, faisant de l’immigration irrégulière un crime au Texas et autorisant les agents de sécurité du Texas à arrêter et à renvoyer les migrants au Mexique. L’immigration étant jusque-là une prérogative de l’État fédéral et non d’un État fédéré, ce projet de loi est largement critiqué par l’administration Biden et fait l’objet d’une procédure judiciaire pour juger de sa constitutionnalité.
La pression des États-Unis sur les pays latino-américains pour réduire l’immigration irrégulière
Si le gouverneur du Texas affirme que ses mesures migratoires et sécuritaires strictes sont efficaces, les études montrent que divers facteurs expliquent les baisses des arrestations en 2024. Parmi ces facteurs figurent les ordres exécutifs de l’administration Biden de juin 2024 pour compliquer les possibilités de demander l’asile pour les migrants arrêtés entre les points de passage à la frontière.
À ces ordres exécutifs s’ajoutent les pressions exercées par les États-Unis sur le Mexique pour bloquer des millions de personnes en mouvement et en transit vers le Nord. Une fois les arrestations effectuées, les agents mexicains reconduisent les migrants par bus vers le sud du pays, notamment dans les villes de Tapachula et de Villahermosa. Cette stratégie qui fait du Mexique le « mur » des États-Unis explique pourquoi les arrestations aux États-Unis ont chuté de 40 % depuis décembre 2023 et ont fait de l’été 2024 celui ayant enregistré le moins de traversées de migrants depuis 2021.
Les États-Unis ont également exercé une pression sur d’autres pays latino-américains pour faire ralentir l’immigration vers les États-Unis : le président du Panama, José Raúl Mulino élu en juillet 2024, a promis de bloquer les passages dans la région du Darién. Quant au Salvador, après que son président Nayib Bukele ait également fait en sorte de réduire les migrations, le président Joe Biden a, à son tour, restreint les critiques envers son homologue.
D’autre part, les mesures du gouverneur Abbott n’ont en rien réduit l’immigration mais ont au contraire redirigé les migrants vers d’autres points d’entrée, dont l’Arizona. Toutefois, cet État dirigé par une gouverneure démocrate n’ayant pas mis en place des mesures drastiques similaires à l’Operation Lone Star, a enregistré davantage de déclin dans l’arrestation de migrants que le Texas. Ainsi, entre les mois de janvier et juillet 2024, l’Arizona a enregistré 74 % d’arrestations de migrants en moins que l’année précédente, tandis que le Texas en a enregistré 53 % de moins.
L’immigration et la sécurité à la frontière restent des enjeux centraux dans la politique intérieure et extérieure des États-Unis. Dans un monde où l’immigration ne fait que croître, les discours sur l’immigration et la criminalisation des migrants polarisent de plus en plus la société étatsunienne.
Souvent décrite comme chaotique et résistante au changement, la politique migratoire des États-Unis aurait besoin d’être réformée pour mettre en avant les contributions et bénéfices sociaux et économiques bien documentés qu’apportent les migrants aux pays d’accueil, mais également s’attaquer aux causes des migrations, ce qu’avait promis de faire Kamala Harris en tant que vice-présidente.