Théâtre

Mouvement perpétuel – sur Fusées de Jeanne Candel

Philosophe et écrivain

Deux mois après sa création au Théâtre de l’Aquarium, Fusées revient pour quatre représentations au Théâtre de la Commune, à Aubervilliers. Un spectacle en forme de conte astronautique où, par la grâce de la musique et du mouvement des corps, sont narrées les aventures de deux cosmonautes prisonniers d’une station orbitale. Une fausse dystopie mais une vraie fantaisie féérique dont on sort heureux et flottant. S’y dessine une poétique de l’exploration spatiale dont on trouve des échos dans certains livres récemment parus.

Des coulisses déboule un piano sur roulettes que la pianiste (Claudine Simon) pousse à travers le plateau tout en cherchant à jouer un morceau qui ne peut pas attendre ou bien parce qu’elle ne peut le jouer qu’en mouvement, ses doigts courant sur les touches pendant que l’instrument roule sur le sol.

On écoute la musique aller et venir, s’interrompre et repartir et l’on comprend qu’elle aussi est sujette à la gravité, qu’elle pèse le poids des corps et des instruments qui lui donnent vie, que sa légèreté n’est pas sans matière et effort. Impression confirmée par les comédiens qui, peu après le piano mobile, rejoignent le plateau en boitant.

 

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Attelles aux bras, têtes bandées, béquilles, minerves, on se demande de quel accident, ou de quel front, ils reviennent. On n’en saura pas plus, sinon qu’aucun corps ici-bas n’est immun aux pesanteurs du monde. Rien de tragique cependant. Les corps blessés se révèlent vifs et inventifs, d’autant plus facétieux que leurs mouvements sont empêchés et leur attirail (post-opératoire) encombrant. Comme souvent dans le théâtre de Jeanne Candel, ce qui se raconte sur scène est inséparable des conditions matérielles de son expression. Ce qui arrive aux corps est au moins aussi important que ce qu’ils disent et que les personnages qu’ils incarnent.

Son théâtre est moins une affaire d’histoires que l’on raconte que de mouvements, d’images et de sons que l’on compose sur scène, d’affects qui circulent et se transforment au gré des corps qu’ils animent et traversent. C’est pourquoi les musiciens y sont aussi des comédiens et les comédiennes des musiciennes : la musique est un personnage à part entière et les corps jouant-interprétant des matières à modeler, mais l’inverse est aussi vrai, on façonne la musique à la scène (Claudine Simon s’y emploie avec une aisance déconcertante) et on fait des corps des personnages changeants.

Il y a pourtant des histoires dans Fusées, plus que dans les précédents spectacles de Jeanne Candel. On


[1] Je précise que sa démonstration n’a rien de théorique, qu’elle est au contraire entièrement poétique : elle opère par la compression des trois grands récits de l’« ailleurs merveilleux » – Le Devisement du monde, Les Milles et une nuits, Star Trek – en 69 blocs de 1.500 signes qui les mêle jusqu’à l’indistinction (à la manière d’un mash-up) tout en en faisant ressortir les traits saillants (la quintessence de merveilleux désirable). Car le monde est creux : 69 compressions de l’ailleurs merveilleux est paru aux Éditions MF.

[2] Paru aux éditions Flammarion dans une traduction de Claro.

[3] N’hésitez pas à lire l’article que Christophe Kantcheff a consacré au livre dans AOC

Bastien Gallet

Philosophe et écrivain

Notes

[1] Je précise que sa démonstration n’a rien de théorique, qu’elle est au contraire entièrement poétique : elle opère par la compression des trois grands récits de l’« ailleurs merveilleux » – Le Devisement du monde, Les Milles et une nuits, Star Trek – en 69 blocs de 1.500 signes qui les mêle jusqu’à l’indistinction (à la manière d’un mash-up) tout en en faisant ressortir les traits saillants (la quintessence de merveilleux désirable). Car le monde est creux : 69 compressions de l’ailleurs merveilleux est paru aux Éditions MF.

[2] Paru aux éditions Flammarion dans une traduction de Claro.

[3] N’hésitez pas à lire l’article que Christophe Kantcheff a consacré au livre dans AOC