Nouvelle

Gens de Paris

Écrivain

Comme dans Gare Saint-Lazare, son dernier roman, la nouvelle de Dominique Fabre ouvre la ville, sa façon d’être peuplée et abstraite, tout ce qu’on y voit sans le voir, ce à quoi on reste étranger et qu’on fait sien. Le coiffeur de l’avenue Daumesnil fait partie de ces présences. Il fait partie des « Amis inconnus », un projet d’écriture en cours.

On marchait dans la rue. Tout le monde avait l’air de vaquer à ses petites affaires. Personne ne semblait préoccupé. Des gens regardaient vers la place, en haut, là où les lions ont terminé de boire et de rugir. Ils parlaient au téléphone de combines secrètes, d’heures de rendez-vous, de courses ou de prix hors taxe, d’horaires de cinémas, ou de ce genre de balivernes qui ne font peur à personne, ne parlent de rien. Puis, entre chien et loup, pas mal de couples se rendirent dans les bars ouverts. Il est devenu faux de dire que les femmes ont dégrafé leurs corsages, que les hommes essuient des gouttes de sueur au bout de leurs favoris. N’empêche qu’on s’y croirait encore. Oui, quelque part, on s’y croirait. N’aura jamais cessé de s’y croire.

 

Elle marchait dans la rue. Il arrivait du bois de Vincennes, il l’avait traversé en marchant en canard. Il avait pris cette habitude de traverser le bois chaque jour, partant de chez lui, en marchant en canard. Il marchait en regardant droit devant lui, peut-être dix mètres droit devant. Ses yeux étaient très bleus. Il avait cette façon de regarder droit devant. La femme qui le regardait ne put s’empêcher de sourire à le voir tout rouge, en sueur, après avoir traversé le bois. Il aura traversé le bois tous les matins, en partant de chez lui, à Nogent-sur-Marne. Le dimanche, il marchait aussi dans un groupe d’amateurs de marche nordique, ça s’appelle comme ça, mais pour moi, il avait l’air de marcher en canard. Et il ne prenait pas ses bâtons en semaine. Il se rendait au salon de coiffure qu’il gardait encore, pour gagner sa vie, après elle, sans elle. Quand je l’ai connu, il avait déjà beaucoup travaillé, il avait commencé à seize ans, pour les shampooings. Il devait se baisser pour ouvrir la porte en verre du salon de coiffure. Il ne voulait pas d’employés. Je dis ça pour qu’on ne s’attende pas à une histoire avec des employés, des stagiaires, ou des relations commerciales compliquées, avec des représentants, des escrocs, des


Dominique Fabre

Écrivain

Rayonnages

FictionsNouvelle