Qui a peur du gouvernement des juges ?
C’est devenu un lieu commun médiatique : à chaque fois (ou presque) qu’une décision de justice vient limiter l’action des gouvernants ou sanctionner l’un d’entre eux, surgit la figure d’un juge dont « on est convaincu à la fois qu’il est tout-puissant et que ses objectifs sont déconnectés de la logique judiciaire ».

Aujourd’hui, le spectre du gouvernement des juges est partout : immanquablement convoqué à propos de toute décision du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou encore de la Cour européenne des droits de l’homme un tant soit peu médiatisée, il est presque toujours débusqué derrière la mise en cause pénale des responsables politiques. La comparution devant le tribunal correctionnel de cadres du Rassemblement national prévenus de détournement de fonds publics n’aura ainsi pas fait échec à la règle, voyant la dénonciation de l’abus de pouvoir des juges relayée bien au-delà des principaux intéressés.
Pourtant, dès lors que l’on ouvre le dossier de cette lourde accusation, les pièces censées l’étayer se révèlent particulièrement légères. C’est en vain que l’on cherche la démonstration ne serait-ce que d’un cas où une personnalité politique aurait été victime d’une condamnation arbitraire, poursuivie sur la base d’un dossier totalement creux ou monté de toutes pièces, ou même simplement soumise à une répression démesurée. On y trouve en revanche la mise en exergue des intentions prêtées aux juges qui ont l’audace de sanctionner les gouvernants. Soit que l’on exhume telle ou telle prise de position d’un membre du corps judiciaire contre la politique pénale autrefois promue par le politicien condamné. Soit, plus largement, que l’on affirme péremptoirement que « dans toute une partie de la magistrature judiciaire, la volonté de camper un contre-pouvoir purificateur, voire d’exercer un pouvoir au-dessus des autres pouvoirs, se nourrit d’un ressentiment contre le système politique et contre l’appareil d’État »[1].
Que l’on en