Société

L’abrogation du délit d’apologie du terrorisme n’est pas la solution aux dérives dans son application

Avocat

LFI a récemment déposé une proposition de loi visant l’abrogation du délit d’apologie du terrorisme du Code pénal. Cela ne semble pourtant pas la voie plus indiquée, notamment parce qu’elle priverait la justice d’un instrument répressif efficace et nécessaire, lorsqu’il n’est pas instrumentalisé. C’est moins l’existence de ce délit qui interroge que son utilisation par les juridictions répressives en dehors des cas « naturels » où il trouve à s’appliquer, lorsque l’apologie est l’antichambre de l’acte terroriste.

Le 19 novembre 2024, une proposition de loi de membres du groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire visant à abroger le délit d’apologie de terrorisme du Code pénal a été déposée à l’Assemblée nationale.

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L’article 1er de cette proposition de loi vise à abroger l’article 421‑2‑5 du Code pénal, qui réprime le « fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes ». L’article visé réprime par conséquent la provocation mais également l’apologie des actes de terrorisme. Le parti LFI, notamment par la voix de Mathilde Panot, a par la suite précisé : « Avant 2014, avant la loi qui a mis dans le Code pénal l’apologie du terrorisme, c’était dans le droit de presse. Et ce que nous dénonçons, c’est justement que ce soit dans le Code pénal et non plus dans le droit de la presse. Donc nous n’abrogeons pas le délit d’apologie du terrorisme, nous le remettons dans le droit de presse.

On comprend donc que l’intention serait de retransférer dans la loi de 1881 les dispositions relatives non à la provocation mais à l’apologie du terrorisme, même si la proposition vise de manière globale l’abrogation de l’article 421‑2‑5 du Code pénal sans prévoir sa réintégration dans les dispositions consacrées au droit de la presse.

Cette proposition a suscité un certain nombre de réactions particulièrement virulentes, l’actuel ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’étant écrié, sur son compte X : « C’est difficile de faire plus ignoble. » Ces réactions, en grande partie exagérées par jeu politique, ne sauraient cependant dissimuler le fait que le texte introduit une réflexion indispensable sur l’utilisation discutable de ce délit, comme l’illustre la condamnation discutable, en avril 2024, d’un responsable CGT pour « apologie du terrorisme » pour un tract diffusé après l’attaque du Hamas contre Israël. Cette proposition de loi est également politiquement cohérente avec le combat historique mené par une partie de la gauche contre les « lois scélérates », dont la loi du 12 décembre 1893 ayant prévu, pour la première fois, de sanctionner l’apologie de certains crimes.

La voie de l’abrogation ne semble cependant pas la voie plus indiquée, notamment parce qu’elle priverait la justice d’un instrument répressif efficace et nécessaire, lorsqu’il n’est pas instrumentalisé. C’est moins l’existence de ce délit qui interroge que son utilisation par les juridictions répressives en dehors des cas « naturels » où il trouve à s’appliquer, lorsque l’apologie est l’antichambre de l’acte terroriste.

Historiquement, c’est l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse qui réprimait la provocation à commettre des actes de terrorisme et leur apologie.

Alors qu’elles étaient donc initialement contenues dans la loi de 1881, les dispositions relatives au délit d’apologie du terrorisme ont été transférées par la loi du 13 novembre 2014 à l’article 421-2-5 du Code pénal. Selon l’étude d’impact du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme : « Le fait d’introduire dans le code pénal les délits de provocations aux actes de terrorisme et apologie de ces actes, d’une part, facilitera le travail des enquêteurs qui pourront recourir aux techniques spéciales d’enquête pour matérialiser les faits et identifier les auteurs et, d’autre part, renforcera les poursuites encore trop peu nombreuses en ce domaine par l’exclusion du formalisme propre à la loi sur la presse et par l’application d’un délai de prescription allongé. » Cette même étude d’impact prévoyait que le projet de loi n’avait pas pour but de « réprimer des abus de la liberté d’expression, mais de sanctionner des faits qui sont directement à l’origine des actes terroristes ».

Comment imaginer qu’un militant CGT puisse être condamné au titre de la même infraction qu’un aspirant au djihad ?

On aurait donc pu croire que l’utilisation de « techniques spéciales d’enquête » allait précisément contribuer à mieux faire la part des choses, dans un souci d’efficacité aussi bien quantitatif que qualitatif. En effet, le fait de faciliter les poursuites peut s’entendre dans un contexte de menace terroriste indiscutable, mais l’élargissement des moyens devrait aussi permettre de mieux cerner les profils. Par exemple, si la publication faite par tel internaute donne lieu à des investigations révélant un ancrage plus ou moins ancien dans le terrorisme, elle éclairera de fait sur la réalité de l’intention derrière la publication.

Or, non seulement ces moyens n’ont pas servi à mieux discriminer les cas, mais ils ont aussi accru une application très large de l’apologie. De nombreux cas montrent qu’en dépit de l’exploitation des supports informatiques des personnes, exclure des affinités avec des thèses « radicales » – selon le vocable généralement employé – ne suffit pas toujours à faire disparaître, dans l’esprit des enquêteurs et des juges, l’idée de la caractérisation de l’apologie, aussi bien dans son élément matériel que dans son élément intentionnel. Ce traitement judiciaire donne par conséquent lieu à une jurisprudence très extensive, dont le manque de cohérence interroge. Comment imaginer qu’un militant CGT puisse être condamné au titre de la même infraction qu’un aspirant au djihad ?

La pratique judiciaire montre aussi, fléau de la modernité et de l’utilisation des réseaux sociaux, qu’un certain nombre d’expressions sont le fruit de maladresses, notamment de mineurs. Or, la dénomination « terroriste » entraîne un effet de tétanie des juridictions qui, en la matière, favorisent un principe de précaution et rechignent à se faire confiance. Ce principe de précaution fait obstacle à un examen très personnalisé des cas et, surtout, à l’admission d’une forme de droit à l’erreur numérique.

Ainsi, en octobre 2024, l’ancien magistrat antiterroriste Marc Trévidic dénonçait un « usage dévoyé de la loi ».

De plus, il est un fait que le « contexte » occupe, de manière générale, une place déterminante dans la répression de l’apologie du terrorisme. Or, non seulement cela donne lieu à un élargissement des cas réprimés, mais cela expose également à un renforcement de la porosité entre ce qui relève, d’une part, du judiciaire et, d’autre part, du politique. En d’autres termes, la répression s’étend à l’expression d’une pensée critique, perçue comme engendrant un risque de trouble à l’ordre public, mais uniquement en tant qu’elle s’oppose à la vision défendue par les autorités.

Ce détournement de la loi s’est encore récemment vérifié dans la criminalisation de certaines expressions critiques à l’encontre de la politique d’Israël sans connotation terroriste catégorique ou intentionnelle. Ces derniers mois, un certain nombre d’auditions de personnes, anonymes ou non, ont pu intervenir du chef d’apologie du terrorisme à l’occasion de publications liées au conflit israélo-palestinien.

Ces convocations ont selon toute vraisemblance été favorisées par la circulaire relative à la lutte contre les infractions susceptibles d’être commises en lien avec les attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre 2023 et introduite par ces termes : « Les attaques terroristes survenues en Israël le 7 octobre 2023, d’une ampleur sans précédent, sont susceptibles d’avoir des répercussions sur le territoire français, appelant un traitement judiciaire vigilant. »

Dans une lettre du 3 avril 2024, le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme écrivait au garde des Sceaux : « Je vous invite à rappeler, par la voie d’une nouvelle circulaire adressée aux magistrats du parquet, deux principes fondamentaux garants de la liberté d’expression. D’une part la loi pénale est d’interprétation stricte : or, en toute rigueur, expliquer ou rendre compte du contexte d’un drame n’est pas l’approuver. D’autre part, et conformément à une jurisprudence bien établie de la Cour européenne des droits de l’homme, mis à part l’éloge d’actes terroristes, la liberté d’expression vaut pour les idées qui “heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population”. Les magistrats du parquet doivent faire preuve de discernement dans l’identification des propos susceptibles d’être qualifiés d’“apologie du terrorisme” afin de préserver la liberté d’expression dans notre pays. »

La vision très extensive du terrorisme – que confirme le développement de la notion d’écoterrorisme – est un indicateur supplémentaire des écueils entrainés par une mauvaise application du délit d’apologie. Si le terrorisme est mal défini, volontairement ou non, la répression de son apologie ne peut qu’entraîner des dérives. Cela ouvre un champ infini d’hypothèses dans lesquelles une contestation, affublée du qualificatif terroriste, permettrait une répression des idées qui la soutiendraient.

Les dérives à l’œuvre dans l’application de l’infraction d’apologie du terrorisme sont rendues d’autant plus crédibles compte tenu des attaques de plus en plus nourries contre l’indépendance de la justice, encore récemment observées à l’occasion des critiques portées contre le réquisitoire demandant l’inéligibilité de Marine Le Pen en date du 13 novembre 2024. Le constat est d’autant plus cocasse que ces critiques émanent pour partie d’un ancien ministre de l’Intérieur, précisément en charge des questions de sécurité.Il ne saurait en revanche être fait reproche au délit de n’exister que pour réprimer les dissidents. Nombre d’expressions, qui consistent par exemple à présenter sous un jour favorable tel ou tel attentat, sont pénalement et socialement inacceptables, surtout qu’elles peuvent être le marqueur d’une spirale pouvant in fine conduire à la commission d’une action violente. Il ne s’agit donc pas, face à ces comportements, de démunir les autorités de moyens de réaction. Surtout, l’abrogation de l’apologie du terrorisme obligerait à choisir d’autres qualifications qui seraient, de fait, nécessairement plus élevées, à l’image de l’infraction « fourre-tout » d’association de malfaiteurs terroriste. Les risques en termes de protection des libertés n’en seraient que plus exacerbés.

Le débat doit davantage être axé sur l’opportunité de maintenir l’apologie du terrorisme dans le Code pénal et, surtout, sur nos garde-fous juridictionnels.

Si l’intention de débat derrière cette proposition est louable, il est en tout état de cause fort douteux que l’opinion publique soit suffisamment bien renseignée sur la pratique juridictionnelle pour en comprendre tous les tenants et aboutissants. Cela révèle une autre difficulté inhérente au fait que notre société, qui favorise la réaction à la réflexion, n’entretient pas les conditions de débats pourtant indispensables. Il serait ainsi profondément regrettable que cette proposition entraîne des effets contreproductifs à ceux recherchés, surtout que l’adhésion de l’opinion pourrait précisément conforter des pratiques judiciaires particulièrement contestables.

NDLR : Vincent Brengarth a récemment publié Défendre l’impossible. Récit immersif d’un procès de justice antiterroriste aux éditions Michalon.


Vincent Brengarth

Avocat, Barreau de Paris