Sport

JOP de Paris 2024 : l’héritage sportif en panne ?

Enseignant agrégé d'EPS

Trois mois après les JO de Paris 2024, l’héritage sportif peine à se concrétiser. Entre baisses de crédits, dispositifs scolaires abandonnés et clubs en difficulté, l’élan olympique retombe. Pour pérenniser cet héritage, des solutions émergent. Mais encore faut-il un soutien politique conséquent pour ne pas manquer cette opportunité historique de transformer la pratique sportive en France.

Les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024 se sont achevés il y a trois mois dans un souffle d’euphorie. Cérémonie d’ouverture exceptionnelle, exploits mémorables de Léon Marchand en natation ou encore de Pauline Ferrand-Prévot en VTT, ferveur populaire : Paris a réussi son pari organisationnel. Mais au-delà des podiums et du spectacle, l’héritage promis de cet événement planétaire semble déjà vaciller.

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Des restrictions budgétaires, l’arrêt de dispositifs pensés pour accompagner l’élan olympique et une absence de stratégie claire mettent en péril ce qui aurait dû être une opportunité historique pour transformer la pratique sportive en France. La question de l’héritage des Jeux, déjà complexe, se heurte désormais à une réalité moins glorieuse.

L’héritage dépasse les médailles et les records. Il se joue dans la capacité d’un pays à transformer un évènement éphémère en un moteur de changement durable. Les Jeux représentent une opportunité unique de repenser notre rapport au sport et d’en faire un levier de transformation sociale. Mais l’héritage sportif ne se décrète pas, il se construit. Sans investissements, sans vision plus large, sans volonté politique, Paris 2024 risque de rejoindre la longue liste des occasions manquées, comme les JO de Londres en 2012.

Les Jeux de Londres sont souvent cités en exemple pour leur organisation irréprochable et leur promesse d’héritage ambitieux. L’édition londonienne avait pour objectif d’augmenter massivement la pratique sportive avec la promesse d’« inspirer une génération ». Les résultats sont plus mitigés. Depuis 2012, le nombre d’Anglais pratiquant une activité au moins une fois par semaine a baissé pour les populations les plus éloignées de la pratique sportive, notamment pour les milieux défavorisés. L’austérité, combinée à des coupes budgétaires drastiques pour les services publics, a entraîné un essoufflement rapide. L’expérience de Londres montre que l’élan olympique, aussi puissant soit-il, peut être ébranlé si les politiques publiques ne suivent pas.

Les bénéfices à long terme sont donc loin d’être garantis. Pour Paris, les choix budgétaires récents et la disparition de certains dispositifs fragilisent les promesses d’un héritage durable, suivant malheureusement la trajectoire londonienne. Les Jeux de Paris 2024 parviendront-ils à démocratiser le sport, à le rendre plus accessible et, plus largement, à modifier nos représentations de la culture du sport en France ?

Un élan qui s’essouffle déjà

L’effet JO a bien eu lieu, comme après chaque olympiade. Les différentes fédérations sportives françaises observent une hausse significative des demandes d’inscriptions. Certaines disciplines tirent leur épingle du jeu. La médiatisation des performances du nageur Léon Marchand, des frères Lebrun en tennis de table, ou encore d’Aurélie Aubert à la boccia lors des Jeux paralympiques font des émules.

Pourtant, trois mois après la clôture, l’effet JO semble déjà retomber, laissant clubs, associations et bénévoles face à de nombreux défis. Faute de structures adaptées et d’encadrants formés, le plus difficile reste à venir : pouvoir accueillir, accompagner et fidéliser ce nouveau public de pratiquants.

Avant les Jeux, Paris 2024 affichait une ambition forte : faire de cet événement un catalyseur de changement durable, notamment pour encourager les Français à pratiquer davantage de sport. Depuis la fin des JO, les décisions prises par le gouvernement semblent aller à contre-courant des ambitions affichées avant l’événement. Le gouvernement, confronté à une pression sur les finances publiques, a décidé de réduire les budgets alloués aux Sports, limitant ainsi les investissements nécessaires pour rénover les équipements ou pérenniser les programmes lancés avant les Jeux.

La situation actuelle se révèle paradoxale. Alors que les Jeux de Paris 2024 devaient marquer un tournant pour le sport en France, les baisses de crédits mettent en péril cet héritage. Les clubs, les écoles et les collectivités locales, qui sont les premiers relais de la pratique sportive, manquent de moyens pour répondre aux ambitions affichées.

Un rendez-vous manqué ?

L’effet JO n’aura été qu’éphémère. Le projet de loi de finances prévoit une baisse du budget de 174 millions d’euros des crédits alloués aux Sports pour l’année 2025. Le budget du ministère des Sports peine à suivre les ambitions affichées lors de la préparation des Jeux. Si le projet de loi de finances reste en l’état, les crédits du ministère des Sports représenteront l’an prochain moins de 0,15 % du budget de la nation, contre 0,18 % en 2024. Malgré le tremplin olympique, le sport reste la variable d’ajustement.

Ces coupes budgétaires ne sont pas sans effet sur la pratique sportive en France. Alors que Paris 2024 promettait de démocratiser le sport et de le rendre accessible à tous, les baisses de crédits aggravent les fractures sociales et territoriales. Dans les territoires les moins dotés, le manque d’équipements ou de clubs à proximité rend la pratique sportive plus compliquée pour des milliers de Français. En zone rurale, il n’est pas rare que les habitants doivent parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour accéder à un gymnase ou une piscine.

Cette contraction budgétaire a des effets multiples, qui affectent aussi bien les clubs, les infrastructures que les dispositifs scolaires.

Des clubs en difficulté pour absorber l’afflux de nouveaux licenciés

Certaines fédérations sportives voient leur nombre de licenciés bondir : 10 % de plus pour la natation, 20 % pour le tennis de table, 25 % pour l’escrime et même 32 % pour le triathlon. Cependant, certains clubs arrivent déjà à saturation. Par exemple, les fédérations de basketball et de handball ont dû refuser environ cent mille joueurs et joueuses en cette rentrée. Manquant d’encadrants formés, certaines associations sportives doivent limiter leurs créneaux, réduire leur capacité d’accueil, voire refuser de nouveaux licenciés. Faute de subventions locales suffisantes, de nombreux clubs peinent à maintenir leurs activités.

Des équipements sportifs insuffisants et vieillissants

Faute d’installations adaptées, de nombreux pratiquants restent à l’écart d’une pratique régulière, avec des conséquences sur leur santé, leur bien-être et leur socialisation. Des économies sont prévues sur les infrastructures sportives. Le plan « 5 000 équipements – génération 2024 », qui prévoyait une dépense de 300 millions d’euros sur trois ans, va voir son enveloppe gelée pour 2025. Les économies demandées aux collectivités territoriales risquent d’impacter les budgets consacrés aux Sports, et plus particulièrement l’accès à la pratique pour toutes et tous.

Des formations délaissées

La réduction des crédits a également des répercussions sur la formation des éducateurs sportifs. Prévu il y a un an, un plan d’aide au recrutement et à la formation de mille éducateurs sociaux et sportifs n’est pas reconduit. Des moyens en baisse signifient un déficit d’encadrants compétents dans les clubs, ce qui limite la capacité d’accueil et d’accompagnement des nouveaux pratiquants (pour les personnes les plus éloignées de la pratique sportive tout particulièrement).

L’abandon de dispositifs scolaires

L’école devait être un pilier central de l’héritage de Paris 2024. Avant les Jeux, plusieurs dispositifs avaient été lancés pour encourager la pratique sportive dès l’enfance et ancrer durablement l’activité physique dans le quotidien des jeunes. Le programme « 30 minutes d’activité physique quotidienne », qui devait être généralisé dans toutes les écoles primaires, est loin d’avoir été pleinement mis en œuvre. Les enseignants se retrouvent souvent seuls face à cette injonction, sans accompagnement matériel ou formation adaptée. Le déploiement du dispositif « 2 heures de sport au collège » a quant à lui été réduit. Il sera uniquement proposé dans les collèges REP/REP+ volontaires. L’abandon de certains dispositifs post-olympiques, à l’école notamment, met à mal les promesses d’héritage sportif pour la jeunesse.

Un modèle sportif français en difficulté

En France, la difficulté à prolonger l’élan olympique s’explique aussi par les faiblesses structurelles du modèle sportif. Le réseau associatif, pilier de la pratique sportive dans le pays, est fragilisé. Les clubs amateurs, qui accueillent la majorité des pratiquants, souffrent d’un manque de moyens humains et financiers. Ces structures, déjà touchées par la crise sanitaire, espéraient bénéficier des Jeux pour attirer de nouveaux publics et renforcer leurs ressources. Mais les retombées tardent à se matérialiser.

À cela s’ajoutent des obstacles persistants. Les équipements sportifs, en France, restent insuffisants ou vieillissants, notamment en zones rurales ou dans certains quartiers prioritaires. L’objectif de créer des infrastructures de proximité, pourtant au cœur des promesses de Paris 2024, est affecté par les coupes budgétaires dans les crédits alloués aux Sports.

Le coût de la pratique sportive est un autre frein important pour de nombreuses familles. Pour faciliter l’adhésion aux associations sportives, le ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques a mis en place une aide financière avec le « pass Sport » en 2021. Cette aide financière fait aussi les frais de l’austérité budgétaire (10 millions d’euros en moins).

Enfin, les pratiquants recherchent plus de flexibilité par rapport à leurs contraintes professionnelles et familiales. Ils souhaitent également une pratique sportive moins compétitive, plus ludique et conviviale. Cela nécessite alors pour les associations d’être plus attentives aux demandes des pratiquants.

En l’absence d’une stratégie claire et de moyens dédiés, le risque est que Paris 2024 reste une parenthèse en trompe-l’œil sans impact durable.

Relancer la flamme olympique

Tout n’est pas perdu pour autant. Les Jeux ont suscité une ferveur populaire, montré l’excellence des athlètes français et mis en lumière le rôle central du sport dans nos sociétés. Mais cet élan ne se transformera en héritage durable que si des mesures sont prises rapidement.

Repenser les infrastructures

Les équipements sportifs doivent être accessibles à tous et intégrés dans des stratégies locales. Ils doivent répondre tout autant aux besoins des habitants et aux enjeux actuels de notre société (mixité, inclusion, durabilité). Les espaces sportifs en extérieur – city stades, skateparks, aires de fitness, street workout – sont utilisés quasi exclusivement par les garçons. Le sport demeure alors un marqueur culturel dominant dans la construction de l’identité masculine.

Dans ces territoires de sociabilité masculine, les filles se voient reléguées à la périphérie, tandis que les garçons occupent prioritairement l’espace central. Le réaménagement de l’espace sportif est donc une première étape pour déconstruire ce sexisme intériorisé dès le plus jeune âge, notamment parce qu’il marque la fin de la valorisation des pratiques masculines. En effet, l’absence des filles de ces environnements de sociabilité masculine préfigure l’espace sociétal à venir.

De même, les femmes éprouvent souvent un sentiment d’insécurité, les empêchant de pouvoir se déplacer librement dans un espace public, notamment en soirée. Cette peur a une incidence notoire sur leur mobilité et leur autonomie, quels que soient leur âge et leur catégorie sociale. Les travaux en sociologie du genre permettent de montrer que cette peur est le fruit de relations de pouvoir consubstantielles aux rapports sociaux de sexe. C’est ce qui peut aussi expliquer pourquoi les femmes préfèrent la pratique d’une activité physique à domicile, moins contraignante, certes, mais avant tout plus sécurisante. Les espaces sportifs et/ou les cours de récréation peuvent être le théâtre de sexisme.

Dès lors, la réflexion autour d’équipements sportifs mixtes et partagés constitue une première étape, mais elle ne garantit en rien que les filles et les garçons pratiqueront ensemble et avec respect. Pour ne pas participer à renforcer la reproduction d’un « ordre naturel des sexes », le sport mixte nécessite un accompagnement à l’usage, une éducation et une sécurisation, sous peine de produire l’inverse des résultats escomptés.

Renforcer la place de l’EPS à l’école

L’éducation physique et sportive (EPS) constitue l’un des principaux vecteurs de démocratisation du sport en France. Pourtant, malgré l’engagement pris de faire des Jeux un levier pour améliorer le « sport à l’école », le bilan reste limité. À l’école, le système éducatif français accorde une large place à l’EPS et au sport scolaire. Avec trois heures d’EPS, la France fait partie des pays européens accordant le plus d’heures à cette matière à l’école élémentaire. Dans la réalité, le temps effectif qui lui est consacré est moindre – environ 1 h 50 –, pour partie lié au trajet des élèves vers les installations sportives. D’autres raisons peuvent être évoquées : le poids des « fondamentaux » (français, mathématiques) dans les programmes ou encore la baisse des heures d’EPS en formation initiale pour les futurs professeurs des écoles.

La discipline EPS est présente sur l’ensemble de la scolarité de l’élève, de la maternelle au lycée. Cette exception française cache pourtant un manque de reconnaissance de la culture du sport dans le pays des Lumières. L’enseignement du « sport à l’école » subit encore le mépris social d’une certaine élite et une méconnaissance générale, celle de son importance sociale. D’un point de vue culturel, les apprentissages en EPS peinent à être considérés comme fondamentaux pour l’épanouissement de l’enfant et le développement de compétences motrices et psychosociales. L’EPS constitue l’un des derniers espaces de mise en jeu du corps commun à toute une génération d’élèves – quelles que soient leurs caractéristiques morphologiques, psychologiques ou sociales – et contribue à la transmission d’une culture sportive et corporelle partagée.

L’implication des adolescents dans une activité sportive ne va pas forcément de soi en milieu scolaire. Les enseignants jouent donc un rôle fondamental d’autant que l’engagement durable dans une pratique sportive est marqué par d’importantes inégalités, les aspirations et les goûts sportifs variant selon le milieu social ou encore le sexe. Accorder plus d’importance à l’éducation physique et sportive à l’école en reconnaissant son rôle clé pour l’épanouissement et l’émancipation des élèves est primordial. Le projet d’héritage passe alors par le renforcement de l’EPS à l’école.

Inscrire l’activité physique dans une politique de santé publique

Cela passe par des campagnes nationales, mais aussi par des aménagements urbains (pistes cyclables, espaces de jeux dans la ville, etc.) qui rendent l’activité physique plus naturelle au quotidien. Par exemple, à Copenhague (au Danemark), les espaces publics ludiques font partie de la ville et participent à la qualité de vie dans la capitale. Ces lieux permettent la rencontre et l’activité physique partagée grâce à la flexibilité des usages.

L’aménagement des espaces sportifs publics revêt alors un enjeu majeur pour les collectivités territoriales. Dans une logique systémique, l’objectif de démocratisation de l’activité physique et sportive peut notamment passer par une piétonisation des villes, l’aménagement de pistes cyclables sécurisées, des projets de végétalisation des places, la conception d’espaces non-genrés, ou encore la construction d’installations sportives innovantes, interactives et inclusives. Dans cet esprit, un gymnase interactif adapté aux jeunes déficients intellectuels a été construit, en 2021, à Châlons-en-Champagne. Dans ce gymnase, les lignes lumineuses peuvent être allumées en fonction des activités. Il répond à une logique d’inclusion inversée puisque destiné à différents publics.

Il est encore temps d’agir pour que ces Jeux laissent une trace durable, non seulement dans les mémoires, mais aussi dans la vie quotidienne de millions de Français. La flamme olympique s’est éteinte, mais il revient à chacun – gouvernements, collectivités, associations, citoyens – de raviver la flamme.

NDLR : Guillaume Dietsch a récemment publié Les Jeunes et le sport. Penser la société de demain aux éditions De Boeck supérieur.


Guillaume Dietsch

Enseignant agrégé d'EPS, Enseignant en Sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) à l’université Paris XII Paris-Est Créteil

Mots-clés

Jeux Olympiques