Littérature

« Invité ou non, hier est toujours là » – sur Blackouts de Justin Torres

Écrivaine

À la recherche d’un dispositif pour écrire la mémoire queer, Justin Torres plonge dans les archives, non pas pour y trouver des documents historiques porteurs d’une scientificité indiscutable, mais plutôt un matériau plastique à modeler, trouer et monter autrement, un lieu d’exercice de la littérature. L’occasion de rendre à Jan Gay, pionnière des études queers, le travail que George W. Henry lui a volé, l’instrumentalisant à son insu.

Douze ans séparent Vie animale, le premier livre de l’auteur américain Justin Torres, paru en 2012, et son second ouvrage, Blackouts, sorti en août dernier. Rares sont les écrivain·es qui s’accordent un tel temps pour écrire et, malgré les années qui ont passé, ces deux textes sont immensément proches, voisins même, comme deux pièces d’un même appartement. On referme l’un pour entrer dans l’autre avec un sentiment d’évidence et de continuité. Seule preuve du temps écoulé : le narrateur de Blackouts n’est plus un adolescent comme dans Vie animale, mais un homme de vingt-sept ans. Une même voix, seulement vieillie de quelques années, résonne d’un texte à l’autre.

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Nene, le narrateur de Blackouts, a quitté la grande ville et son tumulte. Il y a tout perdu, un dégât des eaux a emporté son appartement et ses affaires. Il a décidé de partir vers un lieu singulier en plein désert : le Palais. Libre à nous d’imaginer l’endroit qui reste plutôt fantomatique et indistinct dans le texte, à la fois hôtel et asile, il est brièvement décrit par Torres comme une bâtisse monumentale dont « le stuc autrefois blanc [est] maintenant ivoire sale ». Le Palais est divisé en petites chambres individuelles, on y croise peu de monde, si ce n’est parfois un homme en serviette qui sort de la douche et que Nene désire intensément. On y perd la notion du temps, le jour et la nuit se mêlent et deviennent indistincts, les heures ralentissent et le monde semble en suspens.

Ce qui conduit Nene au Palais est avant tout sa volonté d’y retrouver un ami, ou plutôt un aîné : Juan, un vieil homme portoricain, résident permanent de cet endroit dans lequel il s’apprête à mourir.

Nene et Juan se sont rencontrés il y a longtemps, à l’hôpital. L’adolescent venu « du trou du cul du monde » était alors terrifié et en colère et Juan, lui, parlait peu, si ce n’est pour évoquer Rimbaud ou des bribes de son histoire queer ; cette « culture de la subversion et de la déviance – un héritage ». Ils ont donc en


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