Rediffusion

Mélodrame trans – sur Histoire d’une domestication de Camila Sosa Villada

Historien et artiste

Camila Sosa Villada signe avec Histoire d’une domestication un deuxième roman mélodrame fait de pleurs, de sang et de sperme, où excitation rime avec amour impossible. Une comédienne trans de renom, mère de famille et mariée à un homme gay, s’émancipe et se débat contre les injustices d’une Argentine classiste et sexiste. Rediffusion d’un article du 21 octobre 2024

Quand j’ai ouvert le dernier livre de Camila Sosa Villada, Histoire d’une domestication (traduit par Laura Alcoba de Tesis sobre una domesticacion) il n’y pas fallu beaucoup de pages pour que mon visage devienne humide.

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J’ai voulu fermer le livre, cesser de lire les pleurs de cette comédienne, héroïne du roman, et juguler mes propres émotions. Mais je me suis souvenu de l’avertissement de l’autrice des Vilaines : « La douleur des trans – les rares fois où la douleur d’une trans affleure à la surface – agit comme un envoûtement : celui qui y assiste éprouve une ivresse mêlée de chagrin, une peine phosphorescente (traduction de Laura Alcoba également). »

Alors, j’ai laissé couler, comme beaucoup de lecteurices de ce roman, cette lueur phosphorescente, cette peine mêlée de désir et de magie. J’ai gardé le livre entre mes mains, et je me suis engouffré dans ce mélodrame terrible, fait de pleurs, de sang et de sperme, où l’excitation va de pair avec l’amour impossible.

Une fille trans de la campagne argentine, très éduquée, parlant par citations de Llorca et Cocteau, a été bien accompagnée par sa mère mais harcelée par ses camarades de classe. Très bonne élève, elle n’en était pas moins décalée dans un monde rural massivement homophobe et transphobe. À l’âge adulte, elle est passée par le travail sexuel avant de devenir la comédienne la plus célèbre de son pays, amassant une fortune qui l’a mise à l’abri de tout besoin matériel.

Dans tout le roman, aucun nom ne lui est donné, elle n’est qu’un métier, un statut social devenu personnage : la comédienne. Malgré son confort matériel et l’acceptation sociale qu’elle a arrachée, la peine la ronge et la dévore. Sans que l’on sache vraiment si c’est par souci de conformisme social, pour suivre les encouragements de ses amies ou par désir, elle se domestique : mariage, bel appartement, sauce tomate qui mijote dans les casseroles.

Son mari est presque son équivalent masculin en version encore plus privilégiée : l’avocat.


[1] « The public is fascinated by the stories of trans women, or rather, by what they imagine our stories to be : glamorous, scandalous, titillating, tragic. This narrative maintains itself in perpetuity, erasing both the inglorious mundanity of our actual lives as well as the cultural and historical lineages that contemporary trans feminine individuals stand to inherit. » Kai Cheng Thom, I Hope We Choose Love. A Trans Girl’s Notes from the End of the World, Arsenal Pulp Press, 2019, p. 134, non traduit.

Clovis Maillet

Historien et artiste

Notes

[1] « The public is fascinated by the stories of trans women, or rather, by what they imagine our stories to be : glamorous, scandalous, titillating, tragic. This narrative maintains itself in perpetuity, erasing both the inglorious mundanity of our actual lives as well as the cultural and historical lineages that contemporary trans feminine individuals stand to inherit. » Kai Cheng Thom, I Hope We Choose Love. A Trans Girl’s Notes from the End of the World, Arsenal Pulp Press, 2019, p. 134, non traduit.