Cinéma

L’art de la fugue – sur La Voyageuse de Hong Sang Soo

Critique

Robe fleurie, cardigan vert, Iris, professeur de français incarnée par Isabelle Huppert, erre dans les rues de Séoul. Qui est-elle vraiment ? Dans ce jeu de hasard, chaque mot se double d’un autre, chaque personnage se mêle à un autre, brouillant les frontières entre fond et forme. Hong Sang-soo poursuit son art minimaliste – comme un peintre travaillant son motif – pour dévoiler, entre poésie et prosaïsme, des émotions profondes.

Les films de Hong Sang Soo nous parviennent un peu comme des étoiles mortes : lorsqu’ils sortent sur nos écrans, un ou deux autres sont déjà terminés de tourner, monter et sont même parfois déjà visibles en festivals. Le prolifique cinéaste coréen tient un rythme stakhanoviste de un à deux films par an, avec la Berlinale pour rendez-vous fidèle où La Voyageuse a reçu le Grand Prix du Jury l’hiver dernier.

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Pour sa troisième collaboration avec Isabelle Huppert, Hong Sang-soo reste fidèle avec ce 33ème long métrage à la méthode de travail qu’il élabore depuis plusieurs années. Un tournage très léger en équipe réduite au minimum, très court (treize jours seulement), où l’intensité de la spontanéité vient remplacer la profusion de décors, personnages ou situations. « J’ai développé une méthode au fil des ans et je m’y tiens » dit le cinéaste comme pourrait l’affirmer son personnage, Iris, qui s’est improvisée prof de français en débarquant en Corée.

Isabelle Huppert avait déjà joué une enseignante dans Madame Hyde (2017) de Serge Bozon. Elle se faisait chahuter par sa classe de lycéens qu’elle tentait d’intéresser aux lois de la physique jusqu’à qu’un accident électrique, faisant vriller sa personnalité vers un sadisme assumé. La Voyageuse, elle, met au point une Méthode, comme pouvait l’entendre Constantin Stanislavski qui incitait ses élèves comédiens à puiser dans leurs émotions intimes pour jouer celles de leur personnage. À ces novices en français, Iris écrit des phrases complexes et abstraites qui reflètent leurs émotions profondes et qu’ils doivent répéter à l’envi jusqu’à être pénétrés de ses sonorités qu’ils ânonnent phonétiquement. Pas de grammaire, pas de vocabulaire.

L’une de ses élèves s’insurge « pourquoi n’avons nous pas de manuel ? ». Ce reproche, on peut imaginer que le réalisateur qui a choisi de dorénavant travailler sans scénario, l’a entendu souvent. Il livre dès lors aux acteurs leur texte le matin même de chaque scène. Face à la surprise


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