Théâtre

Matière-musique-image-corps – sur velvet de Nathalie Béasse

Philosophe et écrivain

En janvier, le Théâtre de la Commune (Aubervilliers) invitait Nathalie Béasse à occuper ses espaces pour y proposer spectacles, ateliers, répétitions publiques et programmation d’artistes invités. Deux semaines réjouissantes au cours desquels on a pu découvrir velvet, un spectacle créé quelques mois plus tôt au Théâtre du Maillon (Strasbourg). Un théâtre sans intrigue, sans texte et sans personnages mais plein de corps, de matières, de musiques et d’images. Un théâtre de blocs et de figures où tout surprend et réjouit.

Le rideau est fermé. Il s’ouvrira plus tard. Il n’est pas là pour dissimuler une scène qu’on attendrait de révéler aux spectateurs après avoir fait noir et silence. Le rideau n’a plus cette fonction : celle d’occulter le monde du théâtre, d’être la frontière entre ici et là-bas. D’ailleurs il se fait rare. Nombreux sont les spectacles qui s’en passent.

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Quand le spectateur s’installe, le plateau est déjà visible, comme s’il avait toujours été là ; des personnes l’occupent, vaquent, dorment, lisent, indifférentes à sa présence. Il pourrait s’y promener s’il ne craignait pas de franchir une frontière symbolique. Quelques fois, on l’invite à envahir la scène, à passer du côté du spectacle. Pas ici. Le rideau est fermé.

On entend un son, grave, à peine perceptible, un murmure au large spectre ; quelque chose qui grossit ; une rumeur, un vent ; le son se fait multiple, petites perceptions, c’est une cavalcade qui s’approche, enfle, menace de tout emporter. Ça s’arrête. Le rideau est toujours fermé. Mais on l’a vu frémir, se gonfler par endroits, devenir une surface vibrante. On entend des oiseaux chanter. L’esquisse d’un paysage sonore. Au milieu, quelques plis se troussent, découvrant une ribambelle de fleurs. Quelques minutes plus tard, une tête apparaît ; tête de femme sans corps qui monte et descend comme dans un film de Méliès ; les cheveux se soulèvent et tombent sur le visage ; la tête disparaît dans le tissu. Puis c’est un dos d’homme en uniforme militaire fin de siècle (XIXe). Le rideau ne laisse passer que des morceaux. Fragments d’un rêve dont le réveil nous a fait perdre le fil.

Pendant tout ce début de spectacle, le rideau n’est plus ce qui sépare la scène de la salle : il est la scène. Non au sens où le spectacle se déroulerait devant lui, à l’avant-scène, comme cela arrive encore parfois, mais parce qu’il est lui-même une figure : une matière sensible affectée par des évènements insituables, une profondeur de plis de laquelle surgissent des choses


Bastien Gallet

Philosophe et écrivain