Un piège ? Une blague – sur Quatre nuits d’un rêveur de Robert Bresson
Dans un essai vidéo de 2016 intitulé Tati vs. Bresson: the Gag, Mark Rappaport analysait les rapports entre Robert Bresson et Jacques Tati. Si le rapprochement peut paraître initialement surprenant, Bresson et Tati ont bel et bien des choses en commun : l’incarnation d’une « modernité » cinématographique, une figure d’auteur très incarnée (Tati apparaît dans ses films, Bresson s’est forgé une image de cinéaste-prophète), un usage singulier du son et une manière semblable de construire une scène, un « gag » – et c’est précisément cela que Rappaport soulignait.

Si l’on peut repenser à ce film de Mark Rappaport en (re)découvrant Quatre nuits d’un rêveur, film méconnu de Bresson, vaguement adapté des Nuits blanches de Dostoïevski[1], sorti en 1971 et peu montré depuis, c’est parce qu’il s’agit probablement de son film où son potentiel comique est le plus évident. Ce n’est pas nécessairement son film le plus drôle (ce titre reviendrait plutôt à ses films suivants, Lancelot du Lac ou Le Diable probablement… probablement ?), mais celui où Bresson semble avoir le plus lâché de lest, avoir accepté le plus franchement les ouvertures comiques qui naissent de sa « méthode » si singulière.
On sait que le mot « méthode » convient, finalement, assez peu au geste de Bresson et qu’en même temps, c’est le mot par lequel il faut passer pour aller vers une compréhension de ses singularités. Le travail avec ses jeunes acteurs et actrices, souvent non-professionnels et très jeunes, en est le fondement : avec ses longues répétitions, sa décomposition du texte, des déplacements et des actions, sa manière de les filmer de dos ou de profil, Bresson en fait des « modèles » (c’est le terme qu’il utilise dans les entretiens et dans son fameux essai Notes sur le cinématographe) de ses films, des figures plates, blanches, désincarnées qui incarneraient « l’essence » des personnages plutôt qu’une représentation jouée, théâtralisée – le théâtre est le mauvais objet dans le discours théori