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Politique étrangère de Trump 2 : le décricotage renforcé du multilatéralisme

Politiste

La nouvelle séquence de Trump ravive son néo-souverainisme, centré sur la réaffirmation des prérogatives américaines et la remise en question de la coopération multilatérale. Quels sont les effets de cette politique sur le multilatéralisme et le système des Nations Unies ? De l’ONU à l’OTAN, en passant par la diplomatie des clubs, les menaces sur leur existence et leurs esprits sont bien réelles.

Lors de son premier mandat, Donald Trump s’inspire du président Jackson (1829-1837) jusqu’à placer un de ses portraits à la Maison Blanche. Il trouve dans cette figure qui n’appartient pas à la génération des « pères fondateurs » et qui s’imposa lors de sa première victoire électorale sur l’un des représentants de la dynastie des Adams, un modèle de populisme ainsi qu’un défenseur d’une conception ethnoculturelle de la nation à l’origine de la première « déportation » d’une nation amérindienne.

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Par ailleurs, comme tout jacksonien, Donald Trump ne fut pas tant exaspéré par ses ennemis que par ses alliés, à l’instar des tensions majeures qui se sont manifestées avec les États membres de l’Alliance Atlantique. Au début de ce deuxième mandat, les références à des figures présidentielles antérieures se sont diversifiées. Donald Trump convoque William McKinley (1897-1901) et sa politique active d’acquisition territoriale ; Theodore Roosevelt (1901-1909) et sa politique impérialiste affichée ; ainsi que Ronald Reagan (1981-1989) qui, lui aussi prêta serment dans la rotonde du Capitole, et dont l’ambition fut de rétablir la grandeur des Etats-Unis notamment par la supériorité technologique du pays.

Par ailleurs, la nouvelle séquence Trump s’ouvre avec une réactivation des positions expansionnistes adoptées au cours du XIXe siècle avec pour épicentre le continent américain. Reprise par la force du Canal de Panama, inclusion du Canada en tant que membre des États-Unis d’Amérique réactivent la doctrine Monroe ayant pour finalité d’éviter toute intrusion de la part d’acteurs tiers au sein du continent. Étendu à d’autres territoires comme le Groenland, un tel expansionnisme s’enracine dans la « destinée manifeste », cette idée également déployée au XIXe siècle selon laquelle les États-Unis sont voués « à s’étendre sur le territoire donné par la Providence » selon l’expression originelle de John O’Sullivan en 1845. Le nouveau locataire de la Maison Blanche veut « poursuivre » cette destinée « jusque dans les étoiles, en envoyant des astronautes américains planter la bannière étoilée sur Mars ».

Mais une constance se manifeste entre les deux administrations, renvoyant à l’ADN de la politique étrangère cultivée par Trump : son néo-souverainisme. Celui-ci se traduit par une réaffirmation des prérogatives souveraines des États-Unis sans aucune conscience des limitations d’une part, et dans une volonté affichée de détruire les principes mêmes de la coopération multilatérale d’autre part. Toutes les organisations intergouvernementales deviennent ainsi des cibles privilégiées dont la nouvelle administration cherche à torpiller l’esprit : ce « multilateral way of life » qui serait, aux yeux de Donald Trump, le produit d’élites mondialisées hostiles aux intérêts des États-Unis.

Certains analystes perçoivent derrière une telle dénonciation la fin de l’exceptionnalisme américain ayant pour visée la projection de ses valeurs dans le monde. Il est vrai que cet exceptionnalisme extraverti à l’origine d’un ordre international libéral fait l’objet de mise à distance tout comme dans le premier mandat. En effet, Trump pulvérise cette convergence bipartisane entre Républicains et Démocrates ayant contribué à asseoir la politique étrangère des États-Unis depuis des décennies. Cela ne signifie pas, néanmoins, la disparition d’une certaine exceptionnalité fondée sur l’apologie de la puissance des États-Unis. Quelles sont alors les conséquences de cette politique néo-souverainiste sur le multilatéralisme et, plus largement, le système des Nations Unies depuis la deuxième investiture de Donald Trump ?

Détruire l’héritage d’Obama. Tel était le fil rouge de la politique multilatérale de l’administration Trump 1. Outre les retraits de l’Accord de Paris sur le climat ou encore de l’Unesco, une telle politique a paralysé une partie des activités de l’Organisation mondiale du commerce. En refusant de nommer des juges au sein de l’Organe de règlement des différends, elle enraya l’activité contentieuse de l’organisation. Avec une Alliance Atlantique considérée à la fois comme obsolète et inégalitaire eu égard aux contributions des États-Unis, l’administration Trump 1 causa également de l’émoi au sein de l’Otan.

Dans l’esprit des alliés, ce fut l’intérêt même de Washington pour le sort du vieux continent qui interrogea. Un moment symbolique fut particulièrement révélateur : la cérémonie d’inauguration du nouveau Quartier Général de l’Otan à Bruxelles en 2017. Le président apporta en guise de présents des fragments des tours jumelles du World Trade Center effondrés après les attentats suicides du 11 septembre 2001 mais ne fit aucune allusion au fameux article 5 du Pacte Atlantique stipulant que les alliés se protégeront mutuellement en cas d’attaque armée. Un article mobilisé une seule fois depuis la fin de la guerre froide ; à savoir après le 11 septembre 2001 pour exprimer la solidarité stratégique de l’ensemble des alliés avec les États-Unis.

Détricoter le multilatéralisme de façon radicale. Avec son second mandat, les salves adoptées par l’administration Trump 2 se font plus organisées, plus systématiques, plus directives, plus immédiates. Le président fait montre d’un exceptionnalisme totalement délié de cet esprit du tissage qui caractérise la coopération multilatérale. À l’échelle régionale, la hausse des droits de douane envers le Canada et le Mexique remet en question l’Accord Canada États-Unis Mexique entré en vigueur en 2020 et remplaçant l’Accord de Libre-Echange Nord-Américain. Certes, les réactions ne se sont pas faîtes attendre : mesures de réciprocité ou encore négociations relatives à la question migratoire pour contrecarrer l’action unilatérale de la nouvelle administration. Toujours est-il que le mouvement néo-souverainiste s’engage dès les premiers jours de la présidence sur le sol même du continent américain.

À l’échelle universelle, il décide de quitter l’Organisation mondiale de la santé, ou à nouveau des Accords de Paris, une sortie effective dans un an, ce qui oblige les États-Unis à mettre en œuvre les engagements de la précédente administration Biden pendant cette période de transition. Elise Stefanik nommée à la tête de la mission diplomatique des États-Unis à l’ONU adopte un discours plus qu’acerbe à l’endroit de l’organisation, que ce soit sur le plan financier ou bien en ce qui concerne les actions entreprises en son nom.

Quant à la Cour pénale internationale et les mandats d’arrêt prononcés à l’encontre du Premier ministre israélien et de son ministre de la Défense, la position de Trump 2 s’inscrit dans le prolongement de l’IIlegetimate court Couteraction Act prévoyant « des sanctions contre employés et associés de la CPI si elle enquêtait ou poursuivant certains individus, y compris des forces armées d’alliés ou partenaires des Etats-Unis ». Le décret signé le 6 février, prévoit le gel des avoirs détenus aux États-Unis par les dirigeants, employés et agents de la Cour, ainsi que par leurs familles et tout personne considérée comme ayant apporté son aide aux travaux d’enquête et de la juridiction. Ces personnes se voient également interdire l’entrée sur le sol des États-Unis.

À nouveau, ce mouvement néo-souverainiste s’enclenche immédiatement après la prise de fonction. Il y a là une véritable volonté d’impulser le plus rapidement possible un démontage des formes multilatérales existantes. À cet esprit multilatéral, Trump substitue la logique du bilatéral comme essence même de la politique étrangère. Cette logique de transaction directe, sans intermédiaire et esprit de collégialité sous le giron d’organisations intergouvernementales, torpille le système des Nations Unies. Déjà fort critiqué pour ses carences de représentativité, d’efficacité mais aussi de légitimité, celui-ci est encore plus fragilisé par les coups de butoir assénés par la nouvelle administration Trump. Certes, d’autres États comme la Chine profiteront de ce désinvestissement pour impulser leur propre agenda et infléchir les directions prises par les Nations Unies selon leurs propres priorités. Mais comment aspirer à l’universalité sans un État membre comme les États-Unis ? Les appels à une deuxième Charte des Nations Unies formulés par une coalition d’ONG et notamment le Global Governance Forum soutenu par l’Inde et l’Afrique du Sud par exemple peuvent-ils être entendus à la Maison Blanche alors que la réforme de l’organisation est plus que nécessaire ?

La promotion d’un multilatéralisme solidaire voire sa défense constitue l’un des enjeux les plus saillants de cette séquence diplomatique qui s’ouvre

Parmi les organisations multilatérales les plus exposées à ces menaces pour leur propre existence, le sort de l’Otan doit être considéré. Trump continuera de faire pression sur les États européens membres afin qu’ils élèvent leur budget de défense à 5 % de leur PIB alors que la dynamique résultant de la guerre entre la Russie et l’Ukraine les avait déjà amenés à se rapprocher des 2 %. Envisager de sortir définitivement de l’Alliance se révèle toutefois bien plus aléatoire. Rare initiative bipartisane de la précédente législature, le Congrès a adopté une procédure qui prévoit une information de six mois avant d’entreprendre tout plan de retrait par la présidence, ainsi qu’une majorité qualifiée – les deux tiers du Sénat – pour rendre tout départ effectif.

Malgré cet élément dissuasif concernant une éventuelle sortie de l’Otan, d’autres indices sont révélateurs d’un manque d’appétence de l’administration pour le multilatéralisme, y compris le plus souple. La nouvelle administration se désintéresse de la diplomatie de club, c’est-à-dire des enceintes multilatérales qui ne sont pas celles des organisations intergouvernementales en tant que telles. Le G7 et le G20 au tout premier plan ne sont pas considérés comme des lieux de dialogue pertinents par Trump. Alors qu’ils ont été des espaces de discussion ouverte et non contraignante au sein desquels les différentes administrations trouvaient une ressource pour leur propre diplomatie, le nouveau président leur tourne ostensiblement le dos à l’instar des relations dégradées avec l’Afrique du Sud actuelle présidente du G20 et ce, alors même que les États-Unis doivent assurer la présidence en 2026, ce qui oblige à une coordination renforcée.

Ainsi, Marco Rubio, le nouveau Secrétaire d’État, a déclaré boycotter la réunion des Ministres du forum prévue fin février, prétextant la soi-disant « politique antiaméricaine » de l’Afrique du Sud mais aussi les questions foncières suite à une nouvelle loi adoptée permettant à l’État sud-africain d’exproprier des terres sans compensation lorsqu’elles sont considérées comme inutilisées ou abandonnées. La nouvelle administration l’interprète comme une atteinte aux droits des propriétaires qui sont essentiellement de minorité blanche dans le pays.

À ce diagnostic du détricotage flagrant, s’ajoute une tendance particulièrement préoccupante pour une certaine tradition multilatérale. Le multilatéralisme peut présenter plusieurs formes comme en attestent les initiatives des émergents et notamment celles de la Chine, parallèlement au système des Nations Unies. Mais il en est une qui repose sur des valeurs de solidarité, de liberté et plus largement de référence aux droits humains. Cette tradition établit un lien étroit entre sa substance – améliorer les conditions d’existence des individus et des peuples face à des enjeux mondiaux auxquels nous sommes toutes et tous confrontés d’une manière ou d’une autre –, et les moyens – cultiver la coopération, la discussion, la délibération collégiale. Ce multilatéralisme trouve dans les puissances moyennes démocratiques l’un de ses piliers les plus conséquents.

À l’heure où ce multilatéralisme fait l’objet d’inventaire et doit nécessairement être réformé, il ne faudrait pas que ce multilatéralisme disparaisse dans les reliques de l’histoire. Ce multilatéralisme est de plus en plus contesté par les États du « Sud global ». Trump se veut le fossoyeur de ce multilatéralisme. Qui pourrait alors se faire l’avocat d’une ONU renouvelée, et de cette conception multilatérale ? Depuis 1994 et la fin de l’implication états-unienne au sein de la Mission des Nations Unies en Somalie, les États-Unis cultivent un multilatéralisme sélectif. Avec Trump 2, un autre danger se donne à voir : un refus sans appel du multilatéralisme solidaire et des valeurs qui en font la sève.

La promotion d’un tel multilatéralisme voire tout simplement sa défense constitue l’un des enjeux les plus saillants de cette séquence diplomatique qui s’ouvre avec la mise en place de la nouvelle administration, d’autant plus si celle-ci parvient à nouer des alliances avec d’autres gouvernements nationalistes et néo-souverainistes alignés avec cette conception radicale. Celle qui privilégie la représentation d’un globe objet de conquêtes et d’exploitation sans limites, et non d’une planète à préserver comme habitat du vivant.

Ce texte, publié en partenariat avec l’Association française de science politique, est issu de son webinaire Poli(cri)tique.


Frédéric Ramel

Politiste, Professeur des universités en Science politique à Sciences Po Paris, chercheur au CERI