Les débrouilles rurales – enquête sur des modes de vie populaires invisibilisés
Depuis la pandémie de Covid-19, les campagnes ont le vent en poupe. L’installation de « néo-ruraux » en quête d’une mise au vert et de modes de vie sobres viendrait redynamiser les territoires ruraux jusque-là considérés comme des espaces de relégation. L’attention – médiatique, scientifique et politique – se porte ainsi sur les expérimentations écologiques qualifiées d’« alternatives », souvent collectives, au sein de lieux de vie volontairement situés à l’écart des villes, qu’il s’agisse d’« écolieux », d’« écovillages », de « collectifs néo-paysans » ou encore de « fermes collectives ».
Alors que les déclassements sociaux volontaires et les pratiques de celles et ceux qui cherchent à « ré-apprendre » certains savoir-faire – au prix de formations et de stages onéreux –, tout en s’émerveillant de la découverte de la « nature », font l’objet d’un intérêt médiatique et éditorial accru[1], qu’en est-il des classes populaires rurales qui adoptent discrètement des pratiques similaires avec moins de moyens financiers, et ce, depuis des décennies ? Que dissimule la « ruralité positive[2] » des néo-habitant·es socialement privilégié·es des modes de vie et des conditions d’existence de ces ménages populaires ?
En effet, diriger l’attention sur ces groupes et leurs bifurcations radicales participe à invisibiliser toute une frange de la morphologie rurale. Il s’agit de ménages populaires et de petites classes moyennes qui poursuivent, de façon continue à l’échelle de leur existence, les modes de vie sobres jalonnés par le travail de subsistance observés jusqu’aux années 1960 dans le milieu paysan[3], et jusqu’aux années 1980 dans le milieu ouvrier rural[4]. Si certains de ces ménages ont pu succinctement attirer l’attention au moment de la mobilisation des « gilets jaunes », d’un point de vue éditorial, les ressorts de leur « système D » n’ont pas été précisément étudiés[5]. Ceux-ci sont d’ailleurs loin d’avoir tous participé au mouvement et sont ainsi d’autant plus restés d