Un peu cons
C’est dimanche, je rentre du match avec des morceaux de crampons adverses dans les chevilles et la gueule de bois de la veille au creux du cerveau. Ma mère est dans la cuisine et je me demande si elle y est pas née, des fois. Elle me demande si j’ai gagné et si j’ai bien joué et elle oublie instantanément la réponse mais je lui en veux pas. Je me traîne jusqu’au salon, je me laisse tomber dans le canapé, la télé tourne sans que mon père la calcule. Je coupe le son, il remarque pas, je me rapproche de lui doucement. Ses doigts rayent l’écran de son iPhone sur toute la surface, il s’oublie exister. Ses mains épaisses m’empêchent de voir ce qui l’anime, ou l’éteint. Je penche un peu l’air de rien, nos épaules se frôlent et ça fait bien dix ans que rien d’autre que nos mains se sont touchées mais il remarque pas. Je vois mieux maintenant. C’est un terrain de foot avec des joueurs à l’arrêt. Il doit dessiner la trajectoire de ses passes jusqu’au but, en évitant les défenseurs. Il évolue pas mal mais face au goal, il arme et bute sur le bas du poteau. Il doit reprendre depuis le début. Il est patient, il recommence. À l’entrée du grand rectangle, je sais qu’il va retenter la frappe à ras de terre. Je lui dis, enroule un peu plus haut, non ? Il vient de me remarquer. Il dit quoi ? Pas parce qu’il a pas entendu mais parce que ça lui laisse du temps pour retomber sur ses pattes. Je répète alors et sans toucher l’écran, je mime la trajectoire qui me semble idéale pour tromper le gardien. Il s’applique et s’exécute. Le trait est parfait, comme une virgule. Le ballon se met en mouvement et file droit dans le but. Il grogne de plaisir et un petit sourire s’esquisse. Merci, qu’il concède.
Je savoure un moment en continuant de regarder l’écran et les gestes précis de mon père. Il passe le niveau suivant sans encombre, du premier coup. Je le regarde maintenant et il peut pas le soupçonner parce qu’il est aspiré dans sa nouvelle vie et que ça fait un siècle que mes yeux l’ont pas co