Économie

Prévisions budgétaires : et si l’erreur n’était pas le problème ?

Sociologue

À quelques jours de la publication du rapport de la commission d’enquête sur « les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires », la bataille politique autour de ses résultats est déjà lancée. Certains veulent voir dans ces écarts une preuve d’incompétence ou d’influence politique, mais en dénonçant l’erreur, passent peut-être à côté de l’essentiel. L’incertitude est inhérente à toute prévision économique : prétendre l’éliminer relève d’une illusion technocratique.

Depuis le mois de décembre, la commission des finances de l’Assemblée Nationale s’est dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête et multiplie les auditions « afin d’étudier et de rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 ». Il s’agit notamment d’expliquer l’écart entre la prévision de déficit du Projet de Loi de Finance 2024 (4,4%) et sa mesure récemment publiée par l’INSEE (5,8%).

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La semaine dernière, le député Ensemble pour la République (EPR) Mathieu Lefèvre, co-rapporteur de la commission, a fait un véritable pied de nez à ses collègues en organisant une conférence de presse lors de laquelle il a défendu l’ancien ministre de l’Économie et des Finances. Pour ce faire, il n’a pas hésité à dénoncer les services de Bercy qu’il accuse d’avoir commis une « erreur technique lourde ». La solution portée par ce député est alors celle d’une externalisation du travail de prévision au sein du Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP)[1].

Dans son éditorial du vendredi 26 mars, le journaliste Jean-Marc Vittori pousse lui aussi pour un tel projet : « Il est plus que temps de sortir de ces querelles byzantines et d’avoir des prévisions qui ne puissent plus être perpétuellement soupçonnées de manipulations politiciennes. […] Une prévision économique digne de confiance ne peut pas être une prévision politiquement normée ». La justification avancée par le journaliste diffère puisqu’il légitime l’externalisation de la prévision par la nécessité de l’éloigner du politique. D’un côté, les prévisionnistes se sont trompés parce qu’ils ne sont pas compétents, de l’autre parce qu’ils sont « capturés » par le politique. Mais dans les deux cas, il suffirait d’éloigner la prévision du ministère pour que les erreurs disparaissent. En l’attente du rapport final de la commission d’enquête, il convient d’expliquer l’absurdité de ces deux justifications.

Une « erreur techniq


[1] Le Haut Conseil des Finances Publiques est un organisme créé par la loi organique du 17 décembre 2012 suite à la ratification par la France du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Rattaché à la Cour des comptes, il a notamment pour rôle d’évaluer le réalisme des prévisions macroéconomiques du gouvernement.

[2] Olivier Pilmis (2018). « Escaping the Reality Test: How Macroeconomic Forecasters Deal With “Errors” », dans Uncertain futures, Oxford University Press, Oxford University Press, p. 124‑143.

[3] Everett C. Hughes (1951). « Mistakes at Work », The Canadian Journal of Economics and Political Science / Revue canadienne d’Economique et de Science politique, 17, n° 3, p. 321. Le lien entre cet article et le travail de prévision est suggéré brièvement dans le chapitre cité d’Olivier Pilmis.

[4] Robert Evans (2014). « Expert Advisers: Why Economic Forecasters Can Be Useful Even When They Are Wrong », dans Martini C., Boumans M. (dirs.), Experts and Consensus in Social Science, Springer International Publishing, Cham, p. 252.

[5] Alan Greenspan (1991). « Economic Forecasting in the Private and Public Sectors », Business Economics, 26, n° 1, p. 52.

[6] Pascal Marichalar (2015). « Indépendance », dans Dictionnaire critique de l’expertise, Presses de Sciences Po, p. 181‑186.

[7] Thomas Lépinay (2020). Le pouvoir des rapports : la Cour des comptes, du jugement des comptes à l’évaluation des politiques publiques (années 1950 – années 2010) : contribution à une histoire des grands corps de l’État, These de doctorat, Paris 1.

Théo Régniez

Sociologue, Doctorant à l'Institut de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales (IRISSO), Université Paris-Dauphine

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Notes

[1] Le Haut Conseil des Finances Publiques est un organisme créé par la loi organique du 17 décembre 2012 suite à la ratification par la France du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Rattaché à la Cour des comptes, il a notamment pour rôle d’évaluer le réalisme des prévisions macroéconomiques du gouvernement.

[2] Olivier Pilmis (2018). « Escaping the Reality Test: How Macroeconomic Forecasters Deal With “Errors” », dans Uncertain futures, Oxford University Press, Oxford University Press, p. 124‑143.

[3] Everett C. Hughes (1951). « Mistakes at Work », The Canadian Journal of Economics and Political Science / Revue canadienne d’Economique et de Science politique, 17, n° 3, p. 321. Le lien entre cet article et le travail de prévision est suggéré brièvement dans le chapitre cité d’Olivier Pilmis.

[4] Robert Evans (2014). « Expert Advisers: Why Economic Forecasters Can Be Useful Even When They Are Wrong », dans Martini C., Boumans M. (dirs.), Experts and Consensus in Social Science, Springer International Publishing, Cham, p. 252.

[5] Alan Greenspan (1991). « Economic Forecasting in the Private and Public Sectors », Business Economics, 26, n° 1, p. 52.

[6] Pascal Marichalar (2015). « Indépendance », dans Dictionnaire critique de l’expertise, Presses de Sciences Po, p. 181‑186.

[7] Thomas Lépinay (2020). Le pouvoir des rapports : la Cour des comptes, du jugement des comptes à l’évaluation des politiques publiques (années 1950 – années 2010) : contribution à une histoire des grands corps de l’État, These de doctorat, Paris 1.