Le cœur du mal
Ouverture
La lumière unifie la salle et la scène.
Un grand cadre domine l’espace.
Derrière lui, une table rectangulaire.
Deux chaises : l’une tournée vers l’avant et l’autre à un bout de la table.
Sur la table : un service à thé, une poupée et un portrait de femme. Un cahier ouvert et un crayon. Un parapluie au manche étonnamment long. Un grand sac à provisions. Dans le sac : un petit miroir, un flacon transparent de sirop rouge à moitié vide, un rouge à lèvre, une loupe, une carte postale, un revolver et une boîte à musique.
Entre M.
Elle parle avec le public. Elle sourit. Peut-être qu’elle salue quelqu’un. Ensuite elle dit :
M
Je vais créer ce qui m’est arrivé.
La scène se met en place, de façon chaotique : changement de lumières, de son.
Elle se dirige vers l’autre côté du cadre.
Elle s’assoit sur la chaise qui fait face au public.
Tête inclinée, appuyée sur sa main droite.
Main gauche sur la table.
Lorsque la « nouvelle scène » est en place, une clochette sonne.
À l’unisson, en réponse à la clochette, la musique s’arrête et la lumière change.
1
Enfance
1.1
M
Dans la maison de l’enfance il n’y a pas de livres.
Des patins à roulettes, il y en a, des bicyclettes, des boîtes en carton avec des vers à soie, mais pas de livres.
Quand je dis ça à ma mère, ça la rend furieuse.
À la chaise vide.
Bien sûr qu’il y a des livres, elle dit.
Je ne sais pas. En tout cas, il n’y a pas de bibliothèques d’ouvrages anglais comme celle qu’a eu Borges.
Au public.
Je suis aussi certaine d’autre chose : une femme difficile et belle occupe le centre de la circonférence de cette maison.
Musique.
Elle a de grands yeux, les lèvres maquillées en rouge. Elle s’appelle Isabelle, mais on l’appelle Chiche, ce qui veut dire jouet, babiole, objet avec lequel les enfants s’occupent.
C’est une scène interminable, je la regarde se maquiller dans la salle de bain.
Un enchantement de voir cette femme. À la fois, faim et gourmandise.
Pure, énigme pure.
Ma fascination l’amuse. De temps en temps, elle