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Mexique : les militaires aux commandes

Sociologue

L’arrivée au pouvoir de la gauche mexicaine a permis depuis 2018 des avancées sociales majeures, qui se sont faites au prix d’un retour au premier plan des pouvoirs militaires. Si le contexte de la lutte contre le narcotrafic pèse lourdement sur cette alliance en apparence contre-nature, il ne suffit pas à expliquer ce ralliement de la gauche de gouvernement à la militarisation.

La gauche gouverne au Mexique. L’élection d’Andrés Manuel López Obrador en 2018 a mis fin à plus de trente ans de néolibéralisme forcené. Durant les six ans de sa présidence, quelque cinq millions de Mexicains sont sortis de la pauvreté, le salaire minimum a presque doublé et les personnes âgées de plus de 65 ans ont gagné le droit à une retraite universelle. En 2024, une femme lui a succédé, Claudia Sheinbaum, une première dans l’histoire du pays. La nouvelle présidente, scientifique de formation, incarne la continuité du projet réformateur de la gauche au pouvoir. Elle a brillamment tenu tête aux annonces agressives de la seconde administration Trump et a lancé un plan national de développement très ambitieux.

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Cependant, dès son arrivée au pouvoir, la gauche s’est largement appuyée sur les militaires pour mener à bien ses politiques. Bien que le candidat López Obrador avait promis qu’il renverrait les soldats dans leurs casernes durant la campagne électorale de 2018, il a non seulement renié cet engagement une fois élu président, mais, d’une façon tout à fait improbable, une alliance civique-militaire a vu le jour, avec des effets inattendus. Résultat, alors que le budget annuel des forces armées et celui combiné des institutions de police et de justice étaient encore à l’équilibre en 2014 (autour de 120 milliards de pesos chacun), avant l’arrivée au pouvoir de la gauche, huit ans plus tard, en 2022, le premier avait quasiment doublé (dépassant les 200 milliards) et représentait désormais un budget quatre fois supérieur au second (réduit à 55 milliards).

Comment comprendre un tel revirement ? Pourquoi la gauche mexicaine, une fois installée au gouvernement, s’est-elle convertie au militarisme ? Quelles sont les raisons de cette alliance, en apparence contre-nature ? Quelle logique se trouve derrière cette nouvelle forme de militarisation ?

La guerre contre la drogue

La militarisation n’est pas en soi quelque chose de nouveau dans l’histoire du Mexique. E


[1] Plusieurs travaux réalisés par des chercheurs mexicains ont statistiquement démontré la systématicité des corrélations positives entre l’augmentation des taux d’homicide et le déploiement des opérations militaires dans les régions où ces dernières ont été menées.

[2] Sur les violations des droits humains liées à la politique contemporaine de militarisation, voir l’article : Gaussens P. & Jasso C. (2020). « Militarization of Public Security and Violation of Human Rights in Mexico (2000-2020). » The Age of Human Rights Journal, 15, p. 26-50.

[3] Comme cela avait déjà été le cas au moment de la création de la Police Fédérale, en 1999, sur les effectifs de la Police Militaire.

[4] La majorité des données utilisées dans ce texte proviennent des travaux d’investigation de l’ONG : México Unido Contra la Delincuencia (MUCD) sur la militarisation, comme son dernier rapport de 2024 : « El negocio de la militarización. Opacidad, poder y dinero. »

[5] Une des premières opérations de la Garde Nationale a été la répression d’une caravane de migrants dans le Chiapas, à la frontière sud du pays. Avec la militarisation de la politique migratoire, ceux-ci sont traités sous le prisme sécuritaire comme des « menaces » à la sécurité nationale. Le 27 mars 2023, un incendie a provoqué la mort de 40 migrants enfermés dans un centre d’accueil à Ciudad Juarez. Son responsable, délégué de l’Institut national de migration (INM), était un ancien officier de l’Armée.

[6] Selon un recensement officiel de 2017, 86% des policiers mexicains ont dû acheter eux-mêmes du matériel pour leur protection, et 34% leur propre uniforme.

[7] Il est important de signaler que, dans ces cas, lorsque des civils sont les victimes de soldats, l’action de la justice est souvent obstruée par les tribunaux militaires, ce qui renforce la situation d’impunité et empêche la protection des droits humains. A ce sujet, voir le cas emblématique de Tlatlaya, de 2014, aussi traité dans l’article : « Militarization of Public

Pierre Gaussens

Sociologue, Enseignant-chercheur en sociologie au Collège du Mexique, chercheur-résident à l'Institut d'études avancées de Paris (2024-2025) et associé au Laboratoire d'anthropologie politique de l'EHESS (2025-2027)

Notes

[1] Plusieurs travaux réalisés par des chercheurs mexicains ont statistiquement démontré la systématicité des corrélations positives entre l’augmentation des taux d’homicide et le déploiement des opérations militaires dans les régions où ces dernières ont été menées.

[2] Sur les violations des droits humains liées à la politique contemporaine de militarisation, voir l’article : Gaussens P. & Jasso C. (2020). « Militarization of Public Security and Violation of Human Rights in Mexico (2000-2020). » The Age of Human Rights Journal, 15, p. 26-50.

[3] Comme cela avait déjà été le cas au moment de la création de la Police Fédérale, en 1999, sur les effectifs de la Police Militaire.

[4] La majorité des données utilisées dans ce texte proviennent des travaux d’investigation de l’ONG : México Unido Contra la Delincuencia (MUCD) sur la militarisation, comme son dernier rapport de 2024 : « El negocio de la militarización. Opacidad, poder y dinero. »

[5] Une des premières opérations de la Garde Nationale a été la répression d’une caravane de migrants dans le Chiapas, à la frontière sud du pays. Avec la militarisation de la politique migratoire, ceux-ci sont traités sous le prisme sécuritaire comme des « menaces » à la sécurité nationale. Le 27 mars 2023, un incendie a provoqué la mort de 40 migrants enfermés dans un centre d’accueil à Ciudad Juarez. Son responsable, délégué de l’Institut national de migration (INM), était un ancien officier de l’Armée.

[6] Selon un recensement officiel de 2017, 86% des policiers mexicains ont dû acheter eux-mêmes du matériel pour leur protection, et 34% leur propre uniforme.

[7] Il est important de signaler que, dans ces cas, lorsque des civils sont les victimes de soldats, l’action de la justice est souvent obstruée par les tribunaux militaires, ce qui renforce la situation d’impunité et empêche la protection des droits humains. A ce sujet, voir le cas emblématique de Tlatlaya, de 2014, aussi traité dans l’article : « Militarization of Public