Théâtre

Comparaître – sur Léviathan de Lorraine de Sagazan

Philosophe et écrivain

Lorraine de Sagazan poursuit avec Léviathan le cycle né du « protocole performatif » qu’elle a créé en 2020, au moment de la crise sanitaire : mettre au principe de ses spectacles la rencontre, le témoignage et l’idée de réparation. Léviathan s’est ainsi construit dans les salles d’audience de comparution immédiate et auprès des différents acteurs du système pénal, avec pour résultat une charge puissante contre les dérives de notre système judiciaire et un grand moment de théâtre.

La salle des Ateliers Berthier est en train de se remplir. Le spectacle commencera bientôt. Sur le plateau ouvert aux regards, les quelques spectateurs déjà assis contemplent une salle d’audience qui n’en est pas une. Il y a bien, d’un côté du plateau, une table où s’entassent des dossiers et des codes. Il y a bien, de l’autre, des chaises et un micro sur pied qui semble attendre les prévenus. Il y a bien un homme en habits de magistrat assis à la table et un autre, en civil, sur une chaise.

publicité

On ignore si ce dernier est un prévenu ou un simple spectateur, mais, d’où nous sommes, le premier a l’air d’un mannequin de cire. De la fumée qui recouvre le sol émergent des crêtes de terre noire – j’apprendrai en lisant la note de programme qu’il s’agit en réalité de fumier. Au plafond, une rosace en tissu translucide flotte au gré des mouvements de l’air. Les murs sont d’épais rideaux rouges ouverts à cour et à jardin sur les coulisses. En fond de scène, la figure du Léviathan de Thomas Hobbes est projetée sur un écran en ogive.

La scénographie produit un lieu impossible et composite, mélange de tribunal, d’église, de théâtre et d’écurie, où le sacré se superpose à l’excrémentiel et où la procédure judiciaire prend l’apparence d’une représentation théâtrale ou d’une cérémonie religieuse. Les deux hommes sur le plateau dessinent une opposition plus attendue entre le corps vivant-éprouvant du prévenu et le corps artificiel-mécanique du magistrat. Cette opposition se compliquera et se nuancera au cours du spectacle mais elle ne sera jamais défaite.

Léviathan met en scène trois cas de comparution immédiate, trois « histoires vraies » que Guillaume Poix a reconstituées et donc, précisément, écrites pour le théâtre. Ces cas sont devenus des scènes où des personnages interagissent dans un décor et sur un plateau. Cela n’enlève rien à leur valeur documentaire mais elle passe ici par le travail au long cours d’une écriture. Dans l’introduction de Léviathan (matériau), le li


[1] Léviathan (matériau) : fragments et inédits du spectacle conçu et mis en scène par Lorraine de Sagazan, Guillaume Poix, éditions Théâtrales, Paris, 2024, p. 7.

[2] « Le masque tragique à Rome », Florence Dupont, dans Pallas. Revue d’études antiques, 1998, n°49, Rome et le tragique, p. 353-363.

[3] Texte repris dans On the Art of the Theatre, 1911.

[4] « Une peine est un mal que l’autorité publique inflige à celui qui a fait, ou omis de faire ce que la même autorité juge être une transgression de la loi ; le but est que la volonté des humains puisse par cela être disposée au mieux à l’obéissance. », Thomas Hobbes, Léviathan, Gérard Mairet (trad.), Gallimard, Folio, Paris, 2000, p. 463.

[5] Léviathan (matériau), op.cit., p. 19.

Bastien Gallet

Philosophe et écrivain

Notes

[1] Léviathan (matériau) : fragments et inédits du spectacle conçu et mis en scène par Lorraine de Sagazan, Guillaume Poix, éditions Théâtrales, Paris, 2024, p. 7.

[2] « Le masque tragique à Rome », Florence Dupont, dans Pallas. Revue d’études antiques, 1998, n°49, Rome et le tragique, p. 353-363.

[3] Texte repris dans On the Art of the Theatre, 1911.

[4] « Une peine est un mal que l’autorité publique inflige à celui qui a fait, ou omis de faire ce que la même autorité juge être une transgression de la loi ; le but est que la volonté des humains puisse par cela être disposée au mieux à l’obéissance. », Thomas Hobbes, Léviathan, Gérard Mairet (trad.), Gallimard, Folio, Paris, 2000, p. 463.

[5] Léviathan (matériau), op.cit., p. 19.