Littérature

Sieste générale – sur Chemoule. Un chat français de Nathalie Quintane

Chercheur en littérature

Le nouveau livre de Nathalie Quintane donne à voir, à hauteur de chat, ou plutôt de chatte, peut-être les deux, la vie ordinaire du félin domestique. Un parcours écharpé où l’on croise un peloton de gendarmerie, une chaise bleu marine, des remarques de grammaire et un poêle à bois auprès duquel on peut dormir. Bref, une poésie enfin utile politiquement – et des coups de griffe.

Pas vraiment un récit, pas vraiment autre chose non plus, Chemoule. Un chat français, qui expose « la vie ordinaire d’un chat ordinaire », celui ou celle de l’écrivaine, d’abord baptisé Michel Poniatowski, puis renommée Chemoule (mais, encore aujourd’hui, les choses ne sont pas toujours très claires), rappelle d’emblée que, pour Nathalie Quintane, le genre (littéraire ou non) est une chose fluide : « Je suis née dans un placard, ou plutôt né. On m’a retournée, retourné, retournée à la naissance, on a soulevé ma queue et décidé, et est-ce que ce n’est pas plutôt le placard que vous attendez, son histoire au placard, vous êtes sûr de préférer le -é à l’histoire du placard, en êtes-vous bien sûr-sûre ? »

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Avec Chemoule, læ lecteurice observe le quotidien d’une chatte domestique à travers les yeux de l’animal. Situé à hauteur de chat, dépouillé autant que possible de toute intentionnalité humaine, le livre adopte le rythme du félin, l’écriture oscillant entre courtes remarques, plates ou farfelues, ou les deux, et périodes d’emballement où la phrase ne sait plus où elle va ni même le chemin qu’elle emprunte, mais peut, à l’occasion, découvrir quelque chose d’intéressant. Un rythme à deux temps qui est, en fait, celui de l’écrivaine depuis ses premiers livres et qui est, ici, stimulé par la présence de plusieurs dizaines de dessins de chat, en partie inspirés de Chemoule, signés Stephen Loye, qui prennent appui sur la prose pour mieux la relancer.

Ainsi Chemoule apparaît-il, de prime abord, comme une respiration, drôle et printanière. Une telle légèreté, toutefois, étonne, sinon déçoit dès lors qu’on attend des écrivain×es qu’à l’heure de l’élection de Donald Trump et de la montée de l’extrême droite en Europe, du salut nazi d’Elon Musk et des manifestations néofascistes dans les rues parisiennes, de la crise écologique, du conflit israélo-palestinien et de que sais-je encore, iels ne se contentent pas d’écrire un livre sur leur chat. Alors, compte tenu du conte


[1] Nathalie Quintane, « Stand up (une visite de Marine Le Pen en province) », in Les Années 10, La Fabrique, 2014 ; Que faire des classes moyennes ?, P.O.L, 2016 ; Un œil en moins, P.O.L, 2018 ; Les enfants vont bien, P.O.L, 2019 ; et, pour l’Éducation nationale, Un hamster à l’école, La Fabrique, 2021 ; J’adore apprendre plein de choses, Hourra, 2021 ; et La Cavalière, P.O.L, 2021.

[2] Pierre Alferi, Leslie Kaplan, Nathalie Quintane et alii, Contre la littérature politique, La Fabrique, 2024, p. 7. L’intervention de Nathalie Quintane est intitulée « Beaucoup d’intentions, assez peu de crimes ».

[3] Nathalie Quintane, Ultra-Proust. Une lecture de Proust, Baudelaire, Nerval, La Fabrique, 2018, p. 75.

[4] Contre la littérature politique, op. cit., p. 7. La citation provient d’Olivier Neveux, Contre le théâtre politique, La Fabrique, 2019, un livre qui prenait acte du fait que, dans le monde du théâtre, « la politique marque le pas, […] absente au cœur même de son incessante convocation » (p. 12) et duquel s’inspire l’ouvrage collectif mentionné.

[5] Nathalie Quintane, Chaussure, P.O.L, 1997, quatrième de couverture.

[6] Florent Coste, Explore. Investigations littéraires, Questions théoriques, 2017, p. 359 : « La littérature nous réengage plus vifs, nous reverse avec d’autres moyens et d’autres ressources dans le champ de l’action. Elle propose des exercices pour “décrasser le langage, […] parler contre les paroles, les stéréotypes, les éléments de langage, […] les dédogmatiser, les désidéologiser, les rendre disponibles au sens commun et à l’usage”. » Sur la notion de collage, voir Olivier Quintyn, Dispositifs/dislocations, Questions théoriques, 2015 [1ère éd. 2007]. Et sur le rapport entre littérature et ordinaire, voir Florent Coste, L’Ordinaire de la littérature. Que peut (encore) la théorie littéraire ?, La Fabrique, 2024, ainsi que la critique de l’ouvrage par Jeff Barda, publiée dans les colonnes d’AOC.

[7] Nathalie Quintane, Ultra-Proust, op. cit., p. 59.

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Guillaume Follet

Chercheur en littérature

Rayonnages

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Notes

[1] Nathalie Quintane, « Stand up (une visite de Marine Le Pen en province) », in Les Années 10, La Fabrique, 2014 ; Que faire des classes moyennes ?, P.O.L, 2016 ; Un œil en moins, P.O.L, 2018 ; Les enfants vont bien, P.O.L, 2019 ; et, pour l’Éducation nationale, Un hamster à l’école, La Fabrique, 2021 ; J’adore apprendre plein de choses, Hourra, 2021 ; et La Cavalière, P.O.L, 2021.

[2] Pierre Alferi, Leslie Kaplan, Nathalie Quintane et alii, Contre la littérature politique, La Fabrique, 2024, p. 7. L’intervention de Nathalie Quintane est intitulée « Beaucoup d’intentions, assez peu de crimes ».

[3] Nathalie Quintane, Ultra-Proust. Une lecture de Proust, Baudelaire, Nerval, La Fabrique, 2018, p. 75.

[4] Contre la littérature politique, op. cit., p. 7. La citation provient d’Olivier Neveux, Contre le théâtre politique, La Fabrique, 2019, un livre qui prenait acte du fait que, dans le monde du théâtre, « la politique marque le pas, […] absente au cœur même de son incessante convocation » (p. 12) et duquel s’inspire l’ouvrage collectif mentionné.

[5] Nathalie Quintane, Chaussure, P.O.L, 1997, quatrième de couverture.

[6] Florent Coste, Explore. Investigations littéraires, Questions théoriques, 2017, p. 359 : « La littérature nous réengage plus vifs, nous reverse avec d’autres moyens et d’autres ressources dans le champ de l’action. Elle propose des exercices pour “décrasser le langage, […] parler contre les paroles, les stéréotypes, les éléments de langage, […] les dédogmatiser, les désidéologiser, les rendre disponibles au sens commun et à l’usage”. » Sur la notion de collage, voir Olivier Quintyn, Dispositifs/dislocations, Questions théoriques, 2015 [1ère éd. 2007]. Et sur le rapport entre littérature et ordinaire, voir Florent Coste, L’Ordinaire de la littérature. Que peut (encore) la théorie littéraire ?, La Fabrique, 2024, ainsi que la critique de l’ouvrage par Jeff Barda, publiée dans les colonnes d’AOC.

[7] Nathalie Quintane, Ultra-Proust, op. cit., p. 59.

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