Poésie

Les poèmes de Youri Johnson

Écrivain, artiste

Emmanuel Tibloux commence ainsi la critique qu’il a écrite pour AOC sur La Grande Conspiration affective : « On n’a pas tous les jours la chance de rencontrer un véritable contemporain : quelqu’un de vraiment sensible à l’époque (…). Romain Noël est assurément de cette espèce » – Youri Johnson également, cet être fictif avec lequel joue son créateur, tantôt personnage, tantôt auteur lui-même. Et tous deux sujets et objets d’un monde percuté par l’expérience et l’affect de l’effondrement, par exemple écologique.

Poème d’introduction

 

j’ai écrit ces poèmes
pour des raisons bien précises et de même ces poèmes
se sont imposés à moi sous cette forme
pour des raisons bien précises

je suis super heureux
de pouvoir écrire comme ça
le plus mal possible
en montrant les petites épines
qui s’enfoncent dans mes doigts
et les petites gouttes de sang
qui perlent là où les épines s’enfoncent et qui sont
brillantes luisantes molles
et m’enseignent en silence
que le poème n’est jamais
qu’une potion concoctée
au royaume de la vraie liberté
là où les choses pourrissent
en riant

j’ai toujours essayé d’inventer des dispositifs
pour permettre à mes ami·e·s
de s’introduire
dans mon histoire
et c’est précisément le sens
de ce poème
d’introduction

voilà ce que j’ai à dire
et voilà comment je le dis

Je ne fais pas ça
pour être radical
mais par amour
pour mes ami·e·s
parce que tout le monde
en a marre
des formes froides
inadaptées à nos corps en feu
de femelles gémissantes

je sais c’est dur à entendre
dur à lire
dur à croire aussi peut-être
mais c’est comme ça
et ça fait du bien
à ma vie

tu m’as demandé un texte
et j’ai fait un texte

je n’ai pas fait ce qu’il fallait faire
mais j’ai fait ce que j’avais à faire

ce n’est pas la même chose
et c’est parfois dur de s’y tenir

je cherche une manière
d’être fidèle à tout le monde
en même temps

une manière de ne pas trahir
ce qui compte
tout en détruisant
ce qui doit être détruit

c’est un mouvement du cœur avant tout
on s’avance épée en main
on prononce des mots conjurateurs
on fait le mort aussi parfois
pour tromper l’ennemi
mais dans le fond c’est toujours la même chose
on prépare quelque chose d’énorme
une sorte de vaste attentat
à la pudeur

on met des plantes à bouillir
on prépare les lits pour celleux qui rêvent de pouvoir dormir
on pense au meilleur pour désamorcer le pire

parfois le poème s’échappe
et c’est vraiment le bonheur

j’ai beau me concentrer sur le futur
j’ai toujours peur de répéter
les mêmes erreurs

les larmes sont l’antidote
je n’ai pas peu


Romain Noël

Écrivain, artiste

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