Exposition

Du gaz dans le gaze – sur « Dans le flou »

Critique

À défaut de faire le point sur le flou – dont les contours sont par essence indiscernables –, l’exposition qui lui est consacrée au Musée de l’Orangerie propose un saisissant panorama alternatif de l’histoire de l’art. Ce ne sont pas une erreur ou un accident qui nous sont donnés à voir mais plutôt un contre-récit saisissant : le flou comme un acte esthétique majeur, qui occupe une place de choix dans la création plastique moderne et contemporaine.

En mandarin, pour dire « je ne sais pas », on utilise l’expression « butai qingchu » qui veut dire, littéralement, « ce n’est pas très clair, pas très net », formule euphémisante qui traduit une incertitude, un flou dans la réponse à une question posée.

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Ce même flou induit le plus souvent une fin de non-recevoir de la part de votre interlocuteur, à qui cet effet d’atténuation, ce détour par les brumes, évite de perdre la face. Si j’ai aujourd’hui tout oublié de la langue chinoise, il me reste le souvenir d’une professeure pékinoise des « Langues O », qui traduisait l’expression en question par « c’est brouillard dans ma tête » ; je continue d’aimer cette formule et de la faire mienne.

Il est question de brouillard, de textures troublées et d’incertitudes perceptives dans l’exposition qui se tient en ce moment au Musée de l’Orangerie, « Dans le flou ». Paradoxe dès son titre : le flou dissout les contours, estompe les bords, ainsi comment être dedans, comment être dans ce qui n’est pas délimité ? Bien que le flou (se) joue des frontières et des définitions trop rigides, le parcours de l’exposition, structuré en salles thématiques et habilement scénographié autour de parois vaporeuses, tente d’apporter clarté et distinction à ce concept sans jamais le simplifier sur l’autel de la netteté. Nous sommes dans la demeure des Nymphéas, des vastes étendues aquatiques de Claude Monet dont les contempteurs, rappelons-le, voyaient l’évanescence comme l’effet d’une vision altérée par une maladie oculaire. Le musée de l’Orangerie retourne le stigmate, en explorant le flou comme véritable choix esthétique éclairant la création plastique moderne et contemporaine.

La réussite de l’exposition est de nous installer sensiblement dans une torpeur nébuleuse, de diffuser un flou d’atmosphère dans lequel on hésite – accommoder l’œil fébrilement, faire le point maniaquement en cherchant à voir quelque chose et élaborer un propos, ou bien s’abandonner à cette indistinction, renonce