Cinéma

Anar impur – sur Baby Invasion d’Harmony Korine

Critique

Après le sulfureux Spring Breakers et le trip visuel d’Aggro Dr1ft, Harmony Korine revient avec un projet iconoclaste qui repousse les frontières du cinéma. Baby Invasion s’inspire de l’univers du streaming et du jeu vidéo ; filmé comme un first person shooter, il suit des criminels portant des masques de bébé alors qu’ils commettent des infractions dans de luxueuses villas floridiennes. L’occasion pour l’insaisissable réalisateur américain d’abandonner toute logique narrative et d’entrer pleinement dans un vortex graphique, voyeuriste et avant-gardiste.

Depuis le succès critique de Spring Breakers en 2012, la cote d’Harmony Korine sur le marché du cinéma d’auteur international a nettement baissé. La faute sans doute aux sept années qui ont séparé Spring Breakers et The Beach Bum, sorti directement en DVD en France en 2019, durant lesquelles on l’a un peu perdu de vue au-delà de quelques clips et publicités.

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Moondog, le poète clownesque de The Beach Bum, incarnait justement cette « crise » qu’aurait traversé, à la fin des années 2010, le disciple de Larry Clark. Au centre d’un stoner movie balloté entre les plages de Miami et les pool parties enfumées, Moondog se complaisait dans une sorte de yo-yo artistique et social, se dérobant sans cesse au succès promis par la qualité supposée de son œuvre.

Grandeur et décadence, ascension et chute : dans The Beach Bum, Korine se détournait la logique du rise and fall pour célébrer le refus délibéré de la réussite. « I got to go low to get high » annonçait fièrement Moondog à la fin de son errance sous THC, juste avant de dilapider l’argent qu’il venait de récupérer à la suite de ses mésaventures en Floride. C’est en touchant le fond que l’on s’élève : il faut voir dans ce mantra, au cœur de The Beach Bum, un portrait de Korine lui-même, qui semble avoir refusé de son propre chef une carrière cinématographique traditionnelle au profit d’une œuvre aujourd’hui plus insaisissable, fidèle à ses désirs éclectiques – l’auteur de Gummo est aussi romancier, photographe et plasticien.

Dans cette perspective, la création de sa société de production EDGLRD (pour « edgelord », qui désigne une personne cherchant à se distinguer par ses opinions provocantes) a été un vrai tournant. C’est à l’intérieur de ce laboratoire foutraque, où l’on façonne des produits dérivés, des accessoires de skate, mais aussi des clips, des jeux vidéo et des films, que Korine réalise Aggro Dr1ft en 2023, dans lequel un tueur à gages cherche à éliminer un baron de la pègre, le tout intégralement filmé pa


[1] Dans leur manière d’exploiter la cinégénie du jeu vidéo au cinéma, Chris Marker et Harmony Korine ont beaucoup de choses en commun. Mais si le premier est un élève relativement appliqué en la matière (avec le CD-Rom Immemory, sorte d’Histoire(s) du cinéma interactif nous plongeant dans la mémoire de son créateur), le second garde fièrement sa casquette d’enfant terrible sur la tête, s’opposant à bien des égards à la démarche de son aîné.

[2] Voir à ce sujet l’ouvrage collectif dirigé par Nicolas Bras et Frédéric-Pierre Saget, Captures d’écran : quand le cinéma affronte les flux numériques, Crisnée, Yellow Now, 2022.

[3] Dans l’avant-propos du Gai savoir : « Ah ! ces Grecs, comme ils savaient vivre ! Cela demande la résolution de rester bravement à la surface, de s’en tenir à la draperie, à l’épiderme, d’adorer l’apparence et de croire à la forme, aux sons, aux mots, à tout l’Olympe de l’apparence ! Ces Grecs étaient superficiels… par profondeur ! »

Corentin Lê

Critique, Rédacteur en chef adjoint de Critikat

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] Dans leur manière d’exploiter la cinégénie du jeu vidéo au cinéma, Chris Marker et Harmony Korine ont beaucoup de choses en commun. Mais si le premier est un élève relativement appliqué en la matière (avec le CD-Rom Immemory, sorte d’Histoire(s) du cinéma interactif nous plongeant dans la mémoire de son créateur), le second garde fièrement sa casquette d’enfant terrible sur la tête, s’opposant à bien des égards à la démarche de son aîné.

[2] Voir à ce sujet l’ouvrage collectif dirigé par Nicolas Bras et Frédéric-Pierre Saget, Captures d’écran : quand le cinéma affronte les flux numériques, Crisnée, Yellow Now, 2022.

[3] Dans l’avant-propos du Gai savoir : « Ah ! ces Grecs, comme ils savaient vivre ! Cela demande la résolution de rester bravement à la surface, de s’en tenir à la draperie, à l’épiderme, d’adorer l’apparence et de croire à la forme, aux sons, aux mots, à tout l’Olympe de l’apparence ! Ces Grecs étaient superficiels… par profondeur ! »