En transit – sur L’Aventura de Sophie Letourneur
Arrivé à New York après la Seconde guerre mondiale sans un sou en poche, le lituanien Jonas Mekas désirait par dessus tout devenir cinéaste mais n’en avait pas les moyens. Pour patienter jusqu’au jour où son rêve deviendrait possible, il acheta une petite caméra Bolex et se mit à filmer un peu chaque jour, son quotidien, Central Park, ses amis.

De la contrainte, il fit précisément la matière de son inoubliable journal filmé en deux parties, Lost Lost Lost et Walden. Du fragment, il fit sa forme esthétique, du temps qui passe, une sorte de nostalgie du présent. C’est dans cette démarche de retournement de l’empêchement et d’esthétique de la bribe que Sophie Letourneur bricole depuis quelques années un cinéma familial et domestique. Prise dans le tunnel de la vie avec des enfants en bas âge, elle a détourné le manque de temps à consacrer à ses projets de films pour en faire son sujet, et utilisé les débordements de sa quotidienne comme matériau.
Le cinéma de Sophie Letourneur, c’est d’abord une petite musique qui sonne étrangement vrai et faux à la fois, une rythmique des dialogues qui luttent avec les bruits de la vie, reconnaissable depuis le choc esthétique (et clivant) de La Vie au ranch en 2009. La cinéaste est restée fidèle à la méthode adoptée pour son premier long métrage : s’immerger dans un milieu magnétophone en main, monter les dialogues à partir de cette matière brute issue du réel et les reconstruire pour les faire jouer ensuite, si possible par les protagonistes eux-mêmes. Dans ce mélange subtil de spontanéité et de retravail maniaque naît une voix très singulière qui a ce pouvoir singulier de sonner universel.
Cellule familiale
Deuxième volet d’une trilogie familiale, L’Aventura retrouve Sophie, jouée par la cinéaste elle-même et Jean-Phi, interprété par le nonchalant Philippe Katerine, couple quadragénaire parents de deux enfants, Claudine (née d’un premier lit) et Raoul. On les avait quittés en pleine crise de couple dans une comédie dou