L’appel
Elle supposait que sa grossesse intéressait les militaires, mais elle ne pouvait pas le tenir pour acquis. Elle supposait, par ailleurs, que même si elle restait vivante jusqu’à l’accouchement, ils la tueraient ensuite. Parmi les prisonniers se trouvait une femme de trente-quatre ans qui parlait politique en criant avec les militaires de la marine et avec le Tigre Acosta, l’homme qui commandait le centre clandestin. Cette femme a vu Silvia Labayru pour la première fois en janvier 1977. Elle lui a demandé qui elle était, ce qu’elle faisait. Elle a répondu « service de renseignement », « montoneros », « enceinte de cinq mois ». La femme de trente-quatre ans avait reçu l’ordre des militaires de la marine d’écrire une histoire des FAR, les Forces armées révolutionnaires, un groupe qui avait fusionné avec les Montoneros en 1973, et auquel elle avait appartenu initialement. Pour ce faire, elle avait besoin de consulter de la documentation. Ils lui ont donné accès à l’endroit où étaient conservés les documents confisqués aux militants. Il y avait là également des journaux étrangers. La femme parlait italien, anglais, pouvait lire le français, mais elle a menti : « Nous avons vraiment une mauvaise image à l’étranger. Il faudrait lire tous ces articles et les traduire. Je ne peux pas le faire, mais il y a ici des gens qui savent lire l’anglais et le français et qui peuvent vous les traduire. » Elle, la fille enceinte, quasi adolescente, lui avait dit qu’elle savait parler les deux langues. L’anglais, elle l’avait appris en Amérique du Nord ; le français, au Colegio. La femme de trente-quatre ans, c’était Cuqui Carazo.
Mercedes Inés Carazo, Cuqui, alias Lucy, diplômée en physique. Sa thèse portait sur la circulation océanique profonde. Elle était en couple avec Marcelo Kurlat, alias Ramón, alias Monra, également militant des Montoneros, avec qui elle avait une fille, Mariana. Son grade était celui d’officier supérieur, la montonera la plus gradée de toute la guérilla latino-a