Nouvelle (extrait)

Luxemburg

écrivain et médecin

De ce cardiologue et écrivain russe contraint de partir en février 2022 à la suite de ses prises de position, nous avions publié un extrait du récit de son exil. Rosa Luxemburg a donné son nom à une ville située à l’est de Moscou, et cette dernière à la nouvelle éponyme d’un recueil de quatre histoires traduites par Paul Lequesne et à paraître chez Verdier. Écrites avant son départ, elles respirent une vie fourmillante de moments et de personnages, de dérision, d’humanité. Extrait inédit.

Je n’aime pas les funérailles (qui les aime ?), mais c’est un ancien copain d’école qui m’invite, je dois y aller. Nous sommes habitués aux décès, surtout parmi les dirigeants au pouvoir (puissent-ils mourir tous !) : au début des années quatre-vingt, nous autres, étudiants de l’école de médecine, étions régulièrement mobilisés pour exprimer le deuil national – tantôt à la mémoire de Kossyguine et Souslov, tantôt à celle du maréchal Gretchko ; j’ai déjà oublié la chronologie, je confonds les gus. Mais à cette époque, à dire vrai, c’était presque amusant : les autres citoyens, qu’il pleuve ou qu’il vente, agitaient leurs drapeaux le long de l’avenue Lénine – Gustáv Husák venait de voler jusqu’à eux, quel bonheur ! – tandis que nous, nous passions un quart d’heure debout, la mine désolée, à écouter du Chopin ou du Tchaïkovski dans la Salle des colonnes de la Maison des syndicats, après quoi nous étions libres ; nous devions éviter les inconvenances, les gaffes et les éclats de rire. Les défunts défilaient par cohorte, parfois plusieurs par semestre, aussi avions-nous pris nos habitudes : sur le chemin de la Maison des syndicats, nous entrions soit dans un petit restau de chachliks rue Herzen, près du Conservatoire (j’aime toujours m’y arrêter), soit dans un café en face du Kremlin (où se dresse aujourd’hui l’atroce monument à Vladimir le Grand) soit dans un autre endroit encore dont je ne me souviens plus. Lors de la cérémonie des adieux au camarade Arvīds Pelše, notre bande s’est fait virer : donnant libre cours à nos émotions, nous avions un peu trop célébré la mémoire du défunt. Mais rien de grave : il fut enterré sans nous.

Cependant, il n’est pas là question de Pelše ni de notre sotte jeunesse soviétique et de ses divertissements monotones, mais de Sacha Levant, mon ancien copain. Nous nous connaissons depuis l’école, depuis nos douze ans, et bien que nous soyons restés longtemps sans nous voir, il me tient pour un ami, autrement il ne m’aurait pas convié aux fun


[1] On opère toujours aujourd’hui en Fédération de Russie, une distinction entre citoyenneté et nationalité. On peut être ainsi de citoyenneté russe, mais de nationalité juive, tatare ou tchouktche.

[2] MIPhI : Institut d’ingénierie physique de Moscou ; MPhTI : Institut de physique et de technologie de Moscou (également connu sous le nom de Phystech).

[3] Le métier de traducteur était, en URSS, non seulement bien rémunéré mais bien considéré. (n.d.t.)

[4] Les écoles dites « spécialisées » sont en Russie des établissements scolaires où l’enseignement est axé sur une matière spécifique – mathématiques, physique, langue étrangère, art, musique, sciences humaines. Le système d’enseignement y est souvent plus libre et inventif que dans les établissements classiques – plus proche de ce qu’on appelle en France – depuis plus d’un siècle – « l’éducation nouvelle ». (n.d.t.)

[5] Air de Lohengrin (acte III, scène 3).

 

Maxime Ossipov

écrivain et médecin

Rayonnages

FictionsNouvelle

Notes

[1] On opère toujours aujourd’hui en Fédération de Russie, une distinction entre citoyenneté et nationalité. On peut être ainsi de citoyenneté russe, mais de nationalité juive, tatare ou tchouktche.

[2] MIPhI : Institut d’ingénierie physique de Moscou ; MPhTI : Institut de physique et de technologie de Moscou (également connu sous le nom de Phystech).

[3] Le métier de traducteur était, en URSS, non seulement bien rémunéré mais bien considéré. (n.d.t.)

[4] Les écoles dites « spécialisées » sont en Russie des établissements scolaires où l’enseignement est axé sur une matière spécifique – mathématiques, physique, langue étrangère, art, musique, sciences humaines. Le système d’enseignement y est souvent plus libre et inventif que dans les établissements classiques – plus proche de ce qu’on appelle en France – depuis plus d’un siècle – « l’éducation nouvelle ». (n.d.t.)

[5] Air de Lohengrin (acte III, scène 3).