Luxemburg
Je n’aime pas les funérailles (qui les aime ?), mais c’est un ancien copain d’école qui m’invite, je dois y aller. Nous sommes habitués aux décès, surtout parmi les dirigeants au pouvoir (puissent-ils mourir tous !) : au début des années quatre-vingt, nous autres, étudiants de l’école de médecine, étions régulièrement mobilisés pour exprimer le deuil national – tantôt à la mémoire de Kossyguine et Souslov, tantôt à celle du maréchal Gretchko ; j’ai déjà oublié la chronologie, je confonds les gus. Mais à cette époque, à dire vrai, c’était presque amusant : les autres citoyens, qu’il pleuve ou qu’il vente, agitaient leurs drapeaux le long de l’avenue Lénine – Gustáv Husák venait de voler jusqu’à eux, quel bonheur ! – tandis que nous, nous passions un quart d’heure debout, la mine désolée, à écouter du Chopin ou du Tchaïkovski dans la Salle des colonnes de la Maison des syndicats, après quoi nous étions libres ; nous devions éviter les inconvenances, les gaffes et les éclats de rire. Les défunts défilaient par cohorte, parfois plusieurs par semestre, aussi avions-nous pris nos habitudes : sur le chemin de la Maison des syndicats, nous entrions soit dans un petit restau de chachliks rue Herzen, près du Conservatoire (j’aime toujours m’y arrêter), soit dans un café en face du Kremlin (où se dresse aujourd’hui l’atroce monument à Vladimir le Grand) soit dans un autre endroit encore dont je ne me souviens plus. Lors de la cérémonie des adieux au camarade Arvīds Pelše, notre bande s’est fait virer : donnant libre cours à nos émotions, nous avions un peu trop célébré la mémoire du défunt. Mais rien de grave : il fut enterré sans nous.
Cependant, il n’est pas là question de Pelše ni de notre sotte jeunesse soviétique et de ses divertissements monotones, mais de Sacha Levant, mon ancien copain. Nous nous connaissons depuis l’école, depuis nos douze ans, et bien que nous soyons restés longtemps sans nous voir, il me tient pour un ami, autrement il ne m’aurait pas convié aux fun