Apprendre le cinéma – sur trois films de Vera Chytilova
Lorsque Jean-Luc Godard et Jean-Henri Roger se rendent en Tchécoslovaquie après le Printemps de Prague, c’est pour s’y livrer à une étude du révisionnisme à l’œuvre dans le bloc de l’Est qui aboutit à une sorte de similarité entre le monde communiste et le monde capitaliste, tous deux reliés par une culture de la consommation et du spectacle.

Pour illustrer leur propos, les deux cinéastes décrivent la reddition de leurs homologues locaux, fustigent Milos Forman pour s’être vendu si facilement à Hollywood et accordent trente secondes de temps de parole à Vera Chytilova. La réalisatrice, présentant le discours classique de la liberté permise dans les studios d’État, est vite coupée par la voix-off la qualifiant de « révisionniste ».
Pravda, point de départ des années Mao du « suisse prochinois », est sans aucun doute le plus faible des films que Godard tourne après Mai 68. Le plus faible parce que le plus dogmatique : il n’y a pas là l’autocritique perpétuelle, à la fois féconde sur le plan formel et stimulante sur le plan théorique, qui fait le génie de Vent d’Est, Vladimir et Rosa ou Lotte in Italia. Dans leur portrait de la Tchécoslovaquie, Roger et Godard font preuve d’une confiance absolue en leur thèse, qui s’appuie probablement – dans le cas du cinéma – sur les stéréotypes que le monde cinéphile occidental s’est forgé concernant les films de l’Est.
Dans le cas de Vera Chytilova, la réalisatrice, pourtant porte-étendard de la Nouvelle Vague tchécoslovaque, a souvent été résumée à son deuxième long-métrage – toutefois longtemps invisible – Les Petites Marguerites (1966), satire surréaliste, féministe et radicalement provocatrice : une séquence lors de laquelle les deux héroïnes saccagent un festin a attiré les foudres des autorités communistes. C’est oublier Le Fruit de Paradis (1969), variation expérimentale autour du mythe de l’Eden, un chef d’œuvre qui a frappé de censure la cinéaste, contrainte, pour revenir, de s’atteler à des œuvres plus réalistes