Société

Mark Mazower : « L’enjeu fondamental consiste à distinguer l’antisémitisme de l’antisionisme »

Historien et sociologue

On le voit de manière spectaculaire aux États-Unis en ce moment même, mais le phénomène est général, l’accusation d’antisémitisme est devenue un prétexte facile pour délégitimer son adversaire politique, au point que le mot crée une confusion empêchant de le dénoncer quand il en est vraiment question. Les opinions et actes antijuifs sont une réalité séculaire mais ce que certains appellent le « nouvel antisémitisme » n’est-il pas lui-même le produit d’une confusion ? L’historien américain Mark Mazower s’est penché sur la question.

Dans Antisémitisme. Métamorphoses et controverses (Éditions La Découverte), à peine paru, Marc Mazower, historien professeur à l’Université de Columbia à New York, s’intéresse moins à une théorie de l’antisémitisme qu’à une histoire des appropriations et des significations changeantes du terme. Il part de la naissance du terme, d’abord mouvement politique fondé sur la haine des juifs, à la fin du XIXe siècle, comme réaction à la modernité dans les nouveaux États-Nations.

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Ce récit prend un tour neuf, et l’historien se fait critique politique, lorsqu’il déconstruit le « nouvel antisémitisme » en tant que stratégie permettant de condamner toute critique de la politique israélienne comme antisémite, surtout lorsqu’elle vient de la gauche et du monde arabe. Il identifie les points tournants : l’après-1967, quand le soutien à Israël perçu comme menacé puis triomphant devient un point focal de l’identité juive, surtout aux États-Unis, et les années 2000, qui voient l’internationalisation et la politisation d’une lutte contre « l’antisémitisme » défini de façon très large. Si l’axe américano-israélien est au centre de l’analyse, celle-ci peut bien sûr s’appliquer à la France, par exemple à travers l’invention de l’« islamo-gauchisme ».

L’auteur conclut sur un témoignage personnel de ce qu’il a vécu dans son université, comme une délégitimation du mouvement pro-palestinien sous le prétexte fallacieux qu’il s’agit essentiellement d’antisémitisme. Sur des bases solides, ce livre ouvre un débat essentiel. J. B.

Le caractère exceptionnel de l’antisémitisme est un point qui reste très controversé. Vous affirmez à plusieurs reprises, en particulier dans le chapitre de conclusion, « Les aveugles et l’éléphant » de votre ouvrage Antisémitisme. Métamorphoses et controverses, que nous devrions remettre en question l’idée que l’antisémitisme est un phénomène sui generis qu’il faudrait combattre en lui-même, séparément des autres formes de racisme. Il s’agit là à la fois d’une


[1] Pour le contexte français, voir les rapports de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).

Jérôme Bourdon

Historien et sociologue, professeur au département de communications de l’Université de Tel Aviv

Notes

[1] Pour le contexte français, voir les rapports de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).