Politique

Qui a peur de l’inquiétude ?

Essayiste, Critique littéraire

Puisque nos existences contemporaines sont pétries d’inquiétudes, lesquelles ne sont pas prêtes de s’évaporer au vu de la tendance de certains dirigeants à se targuer de rechercher la stabilité alors qu’ils fomentent l’incertitude à dessein, nous devrions apprendre à vivre comme des « déséquilibristes », c’est-à-dire épouser la tension entre menace de l’effondrement sous le coup de l’indétermination et élan galvanisant du contingent.

Que recouvre au juste ce terme si banalement contemporain d’inquiétude ? Non pas l’inquiétude au sens savant des exégèses sémantiques ou philosophiques mais l’inquiétude du tout-venant, celle, simplement, du lendemain. Il s’est trouvé récemment des politiques assez vains pour vouloir dresser une hiérarchie entre ceux qui s’inquiètent pour la fin du mois et ceux qui s’inquiètent de la fin du monde. Pour ma part, j’aimerais parler sans gradation d’échelle de ces inquiétudes diffuses ou plus affirmées qui peuplent désormais notre quotidien : inquiétude pour soi et les siens, inquiétude pour le monde présent et à venir, devant les catastrophes annoncées, les menaces de guerres généralisées, la fin du mythe de l’ordre international (occidental), les massacres, les destructions et famines, la force aveugle partout, la barbarie, les catastrophes climatiques, sanitaires, humanitaires, la sixième extinction de masse annoncée…

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L’inquiétude, poussée jusqu’à une véritable angoisse d’insécurité, c’est aussi ce qui fut vécu pendant l’épidémie du Covid dans les années 2020-2022 : confinement, morts en série, images de cauchemar d’hôpitaux de campagne gigantesques surgissant partout, de morts effondrés dans les rues, de files interminables pour tenter d’obtenir de rares bouteilles d’oxygène, de camions frigorifiques recueillant les morts en attente d’enterrement. On découvrit la fragilité de structures dont on pensait qu’elles nous soutenaient. Révélation soudaine de notre vulnérabilité collective : la « modernité », le « développement » pouvaient donc s’effondrer d’un seul coup et le sol soudain lâcher. Seul·e·s celles et ceux qui avaient connu le tremblement de terre des guerres le savaient. Triomphe des prophètes de malheur sur les chantres des lendemains qui chantent ou de la paix universelle ?

Il y a certes des degrés dans l’inquiétude, de la simple préoccupation aux angoisses plus profondes. Faudrait-il pour autant en finir avec l’inquiétude afin de retrouver une su


[1] Dorian Astor, La passion de l’incertitude, éditions de l’Observatoire, 2020.

Évelyne Grossman

Essayiste, Critique littéraire

Notes

[1] Dorian Astor, La passion de l’incertitude, éditions de l’Observatoire, 2020.