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Cameroun : mobilisations autour de la vérité électorale

Politiste

Paul Biya, président depuis 43 ans, vient d’être donné victorieux contre Issa Tchiroma Bakary, qui revendique la « vérité des urnes ». Dans un pays où les conflits électoraux ne sont pas inédits, mais cette fois d’une ampleur inattendue, la contestation ne prend pas seulement la forme de manifestations violemment réprimées. Le 12 octobre, les électeurs ont investi les bureaux de vote pour assister au décompte des bulletins à la lumière de leur téléphone portable.

Le 12 octobre 2025, 7,8 millions d’électeurs et d’électrices camerounais sont invités à se rendre aux urnes pour élire leur président. Le verdict officiel, proclamé le 26 octobre par le Conseil constitutionnel, donne 53,66 % des voix à Paul Biya, président sortant, et 35,19 % à Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre devenu un challenger inattendu dans les derniers jours de campagne. Dès le lendemain de l’élection, l’opposant revendique la victoire et affirme détenir la « vérité des urnes ». En réponse, le journal gouvernemental titre « L’heure de vérité », le jour de la proclamation des résultats.

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Cette vérité électorale est aujourd’hui au cœur d’un rapport de forces entre le pouvoir en place, et une constellation d’acteurs : de l’opposant retranché dans sa villa de Garoua, dans le Nord du pays, aux manifestants de Douala, la capitale économique du Cameroun. Déjà, plusieurs de ces manifestants ont été tués par les forces de sécurité, et plusieurs grandes figures pro-opposition ont été arrêtées.

Ce conflit électoral n’est pas inédit au Cameroun, mais il prend une ampleur inattendue cette fois-ci. Il s’inscrit dans un mouvement plus large de mobilisations post-électorales, des États-Unis (2020), au Kenya (2008 et 2017) en passant par le Brésil (2018), ou encore la Guinée (2020)[1]. Parfois violentes, ces disputes sont bien sûr le fruit de tactiques politiques de la part de candidats défaits. Elles reposent également sur une remise en cause plus générale du régime de la vérité électorale, au fondement de la démocratie représentative[2]. L’autorité et la légitimité des institutions censées énoncer cette vérité mathématique, l’agrégation chiffrée des votes individuels, sont érodées. Le registre de la défiance, favorisé par l’usage des réseaux sociaux, est devenu une ressource politique, et un vecteur de réappropriation citoyenne du vote.

Au Cameroun, à la longue histoire d’élections controversées s’ajoute la fragilité du régime de vérité politique et institution


[1] Kathleen Klaus, Political Violence in Kenya : Land, Elections, and Claim-Making, Cambridge University Press, 2020 ; Marie-Hélène Sa Vilas Boa, « La place contre les urnes : la contestation bolsonariste de l’élection présidentielle à Rio de Janeiro », Cultures & Conflits, 2023, ; Sidney Tarrow, « Attack on the US Capitol, 6 January 2021 », dans The Wiley-Blackwell Encyclopedia of Social and Political Movements, John Wiley & Sons, 2022.

[2] Cette problématique est au cœur d’un projet de recherche collectif, financé par l’Agence nationale de la recherche et coordonné par Hélène Combes, Élise Massicard et Marie-Emmanuelle Pommerolle.

[3] Marie-Emmanuelle Pommerolle, « The Republic and its Double. Forgery, Inequalities and State Morality in Cameroon », dans Identification and Citizenship in Africa. Biometrics, Documentary State and the Bureaucratic Writings of the Self,Routledge, 2021.

[4] Sarah Sunn Bush, Lauren Prather, Monitors and Meddlers: How Foreign Actors Influence Local Trust in Elections, Cambridge University Press, 2022.

[5] Jean-François Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, 1999.

[6] Le rapport du National Democratic Institute, « An Assessment of the October 11, 1992 in Cameroon » (1993), organisation américaine qui avait observé l’élection, et qui était très critique vis-à-vis du processus avait estimé ne pas pouvoir déterminer qui était le gagnant, notamment car les PV officiels n’ont jamais été transmis par les autorités.

Marie-Emmanuelle Pommerolle

Politiste, Maîtresse de conférences en science politique à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et chercheuse à l’Institut des mondes africains

Mots-clés

Démocratie

Notes

[1] Kathleen Klaus, Political Violence in Kenya : Land, Elections, and Claim-Making, Cambridge University Press, 2020 ; Marie-Hélène Sa Vilas Boa, « La place contre les urnes : la contestation bolsonariste de l’élection présidentielle à Rio de Janeiro », Cultures & Conflits, 2023, ; Sidney Tarrow, « Attack on the US Capitol, 6 January 2021 », dans The Wiley-Blackwell Encyclopedia of Social and Political Movements, John Wiley & Sons, 2022.

[2] Cette problématique est au cœur d’un projet de recherche collectif, financé par l’Agence nationale de la recherche et coordonné par Hélène Combes, Élise Massicard et Marie-Emmanuelle Pommerolle.

[3] Marie-Emmanuelle Pommerolle, « The Republic and its Double. Forgery, Inequalities and State Morality in Cameroon », dans Identification and Citizenship in Africa. Biometrics, Documentary State and the Bureaucratic Writings of the Self,Routledge, 2021.

[4] Sarah Sunn Bush, Lauren Prather, Monitors and Meddlers: How Foreign Actors Influence Local Trust in Elections, Cambridge University Press, 2022.

[5] Jean-François Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, 1999.

[6] Le rapport du National Democratic Institute, « An Assessment of the October 11, 1992 in Cameroon » (1993), organisation américaine qui avait observé l’élection, et qui était très critique vis-à-vis du processus avait estimé ne pas pouvoir déterminer qui était le gagnant, notamment car les PV officiels n’ont jamais été transmis par les autorités.