Economie

Vers une archéologie du capitalisme

Professeur de littérature et médias

Penser le post-capitalisme, c’est savoir se méfier des évolutions historiques interprétées en termes de remplacement, de succession, c’est-à-dire d’abolition de l’ancien au profit du nouveau. Au fil d’une narration linéaire où certaines causes sont dûment suivies de certains effets, il convient en effet d’ajouter une sensibilité archéologiste, qui s’efforce de creuser dans les couches plus souterraines de l’aujourd’hui pour y trouver l’efficience toujours présente de multiples hier.

On ne saurait bien entendu parler de « post-capitalisme » * sans questionner brièvement la nature du sens exact à accorder au préfixe « post- ». Que signifie donc le fait de venir après quelque chose ? Au moins deux cas de figure assez différents peuvent se présenter. En parlant de scénario « post-apocalyptique », de syndrome « post-traumatique » ou d’atmosphère politique « post-9/11 », on désigne un état de fait qui a été initié par un événement (un effondrement sociétal ou psychique, les attentats d’Al Qaeda du 11 septembre 2001), dont on étudie le déploiement ultérieur. En parlant d’œuvres « post-romantiques » ou de législations « post-apartheid », on désigne en revanche plutôt un état de fait qui s’est clos à la fin d’une période désormais révolue. On ne saurait bien sûr esquiver la question de savoir laquelle de ces deux acceptions est plus adaptée à la réouverture d’un horizon « post-capitaliste ».

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Du remplacement à la superposition

À première vue, l’effort pour penser le « post-capitalisme » implique la croyance en la possibilité de sortir du capitalisme, de le dépasser comme on accélère pour dépasser une voiture trop lente qu’on laisse derrière soi, afin d’entrer dans un autre régime, différent de lui, une « autre chose » dont on espère implicitement qu’elle le remplacera avantageusement. Il semble toutefois plus judicieux de penser les « post- » comme désignant l’inertie d’une persistance autant que la clôture d’une fin.

On pourrait en trouver un modèle dans les références actuelles au « post-colonial ». Ce que l’on vise par là, ce n’est pas tant le fait que la colonisation ait pris fin, une bonne fois pour toutes, avec pour corollaire que nous vivrions depuis lors dans des relations géopolitiques totalement nouvelles n’ayant plus rien à voir avec l’époque coloniale officiellement révolue. C’est plutôt le fait que, tout au contraire, les relations géopolitiques qui ont succédé aux indépendances nationales continuent à subir les inerties des rapp


[1] Voir Guillaume Sibertin-Blanc, Politique et État chez Deleuze et Guattari, Paris, PUF, 2014, chap. 5, p. 169.

[2] Voir Yann Moulier Boutang, « Géopolitique des masses : entre plèbes et multitudes, rente et corruption », Multitudes n° 70 (avril 2018).

[3] Carlo Vercellone, « Finance, rente et travail dans le capitalisme cognitif » et Toni Negri, « La démocratie contre la rente », Multitudes, n° 32, 2008, p. 27-38 & 127-134.

[4] La mineure du n° 56 de Multitudes (2014) avait été consacrée à cette question sous le titre « Plèbes et multitudes en Amérique latine ».

 

[5] Antonio Negri, « L’appropriation du capital fixe : une métaphore ? », Multitudes n° 70 (avril 2018).

[6] Voir sur ce point le dossier « Politiques du care », Multitudes n° 37-39 (2009), ainsi que Sandra Laugier, Pascale Molinier, Patricia Paperman, Qu’est-ce que le care ?, Paris, Payot, 2008.

[7] Voir sur ces questions le site d’Antonio Casilli, http://www.casilli.fr/, ainsi que le numéro 54 de Multitudes (2014), consacré aux nouvelles luttes de classes sur le web.

[8] David Graeber, « À propos des métiers à la con », disponible en ligne sur https://partage-le.com/2016/01/a-propos-des-metiers-a-la-con-par-david-graeber/.

Yves Citton

Professeur de littérature et médias, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Co-directeur de la revue Multitudes

Rayonnages

Économie

Mots-clés

Capitalisme

Notes

[1] Voir Guillaume Sibertin-Blanc, Politique et État chez Deleuze et Guattari, Paris, PUF, 2014, chap. 5, p. 169.

[2] Voir Yann Moulier Boutang, « Géopolitique des masses : entre plèbes et multitudes, rente et corruption », Multitudes n° 70 (avril 2018).

[3] Carlo Vercellone, « Finance, rente et travail dans le capitalisme cognitif » et Toni Negri, « La démocratie contre la rente », Multitudes, n° 32, 2008, p. 27-38 & 127-134.

[4] La mineure du n° 56 de Multitudes (2014) avait été consacrée à cette question sous le titre « Plèbes et multitudes en Amérique latine ».

 

[5] Antonio Negri, « L’appropriation du capital fixe : une métaphore ? », Multitudes n° 70 (avril 2018).

[6] Voir sur ce point le dossier « Politiques du care », Multitudes n° 37-39 (2009), ainsi que Sandra Laugier, Pascale Molinier, Patricia Paperman, Qu’est-ce que le care ?, Paris, Payot, 2008.

[7] Voir sur ces questions le site d’Antonio Casilli, http://www.casilli.fr/, ainsi que le numéro 54 de Multitudes (2014), consacré aux nouvelles luttes de classes sur le web.

[8] David Graeber, « À propos des métiers à la con », disponible en ligne sur https://partage-le.com/2016/01/a-propos-des-metiers-a-la-con-par-david-graeber/.