Musique

NTM : au commencement était la verve

Chercheuse en littérature française

Pionniers du rap français, Joey Starr et Kool Shen reforment NTM demain soir à Bercy pour un concert décennal. L’occasion de mesurer combien derrière l’image de groupe contestataire et rebelle, ces héritiers de Cyrano de Bergerac et de Georges Brassens ont développé des formes littéraires et une virtuosité verbale très singulières.

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À l’ère du cloud rap à la PNL, du rap autotuné à la Jul ou introspectif à la Orelsan, on peut se demander d’où vient l’attrait d’un duo de quinquagénaires qui fait exploser les préventes pour les dates d’un concert « exceptionnel », alors qu’il n’existe plus comme groupe rap depuis une vingtaine d’années. Formé en 1988, auteur d’une discographie marquante et d’une dissolution traumatique en 1998, le groupe NTM ne lâche pas son public car il propose, depuis, une refondation éphémère tous les dix ans : en 2008 pour un grand concert à Bercy et maintenant en 2018 pour trois shows toujours au même endroit (entretemps rebaptisé AccorHotels Arena). Après quoi, ses fans compteront sûrement les jours jusqu’en 2028 pour goûter à nouveau, en live, à la performance vocale extraordinaire de ces rappeurs.

Mais Suprême NTM est plus qu’un ancien groupe de rap. Il est le rap à l’état vif, à l’état pur, car au commencement était le verbe et le verbe du rap français est, qu’on le veuille ou non, marqué à jamais par NTM. Tout a commencé quand le breakdance, avec ses acrobaties et ses figures au sol, aidait à fuir l’ennui d’une adolescence banlieusarde des années 80. Mais le verbe a pris tout de suite le dessus. Ces deux danseurs de 19 et 18 ans, que l’on connaissait déjà sous le nom de Kool Shen et Joey Starr , vont découvrir la force des mots grâce au graff et au tag. Taguer les murs, les hangars, les trains, taguer la rue tout court car c’est taguer la ville, c’était leur façon de jouer avec la forme des mots pour laisser l’empreinte indélébile d’un sigle qui allait faire sens à jamais dans la culture française de masse : NTM, « Nique ta mère ». Une drôle d’expression pas du tout acceptable par la culture conventionnelle, pour son degré de vulgarité et de misogynie. Mais elle en dit long, en dit trop même. Cette formule est tout d’abord un écho fraternel aux joutes verbales qui ont donné naissance au rap dans les ghettos noirs américains dans les années 70. L’employer c’


[1] Rapattitude !, Labelle Noir, 1990.

[2] « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles », Pierre Corneille, Le Cid, acte IV, scène III, vers 1273.

[3] 1993… J’appuie sur la gâchette, Sony Music, 1993.

[4] « Hécatombe », La Mauvaise Réputation, Polydor, 1952 ; « La file indienne », Hors album, 1955.

[5] Voir Christian Macaram, « Peut-on tout dire en France ?, Le Point, 23 novembre 1996.

[6] Ray Ventura et ses Collégiens, « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? », 1937.

[7] Selon les dires de son ancien manager Sébastien Farran, dans Suprême NTM, l’intégrale, Paris, Scali, 2007. Voir également par rapport à ce titre, Joy Sorman, « That’s my people », Nouvelle Revue française, nº 601, juin 2012.

Bettina Ghio

Chercheuse en littérature française, Docteure en littérature française

Rayonnages

Musique Culture

Notes

[1] Rapattitude !, Labelle Noir, 1990.

[2] « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles », Pierre Corneille, Le Cid, acte IV, scène III, vers 1273.

[3] 1993… J’appuie sur la gâchette, Sony Music, 1993.

[4] « Hécatombe », La Mauvaise Réputation, Polydor, 1952 ; « La file indienne », Hors album, 1955.

[5] Voir Christian Macaram, « Peut-on tout dire en France ?, Le Point, 23 novembre 1996.

[6] Ray Ventura et ses Collégiens, « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? », 1937.

[7] Selon les dires de son ancien manager Sébastien Farran, dans Suprême NTM, l’intégrale, Paris, Scali, 2007. Voir également par rapport à ce titre, Joy Sorman, « That’s my people », Nouvelle Revue française, nº 601, juin 2012.