Nouvelle

Une soirée prodige dans la vie d’une jeune serveuse

Écrivain

Les nouvelles du recueil La Peur au milieu d’un vaste champ (à paraître aux éditions Actes Sud, dans la traduction d’Amal Albahra) feront découvrir l’écrivain syrien Mustafa Taj-Aldeen Almusa et sa manière malicieuse d’incorporer le surnaturel, le conte de fées, au milieu de l’ordinaire. Des mortes amoureuses, des personnages de peinture qui s’animent, un génie, un animal doué de raison. Ou, comme ici, une fable où l’amour atteint une dimension parallèle. Ainsi entrons-nous dans l’hiver, en avant-première de la rentrée littéraire étrangère de janvier 2020.

Dans un modeste restaurant travaillait une jeune serveuse d’une beauté à faire damner un saint. Sa présence était une joie pour tous ceux qui la côtoyaient. Elle avait tellement de charme. Son âme habitait son corps tout entier. C’était palpable à la façon dont elle occupait l’espace et rythmait le temps. Quand elle se déplaçait, ou plutôt flottait entre les tables, on aurait dit un papillon qui voltigeait d’une fleur à l’autre. Ah ! Qu’elle était belle ! Ses pas avançaient en rythme sur la musique qui sortait d’un vieux gramophone, telle ceux d’une ballerine dansant sur une scène. Son doux et beau sourire ne quittait jamais ses lèvres.

 

Infatigable, toujours débordante d’enthousiasme et d’une joie infinie, elle servait les verres et les plats avec ardeur. La douceur de son visage laissait deviner qu’elle ne devait guère avoir plus de dix-huit ans. Elle portait toujours le même uniforme : une minijupe noire et une chemise rose, et elle exhalait un parfum qui emplissait l’atmosphère de plaisir et de gaieté.

Sa patronne était une vieille dame, une amie de sa mère. Sa famille avait une vie difficile : une mère diabétique et un père à la retraite après une quarantaine d’années dans la marine. Désormais, il passait son temps à assembler des petites boîtes de cigarettes et à les coller pour créer différents tableaux. Personne n’appréciait son travail, mais lui s’en satisfaisait.

La belle jeune fille travaillait pour aider son père qui n’avait plus que sa retraite, un revenu insuffisant pour élever une grande famille : trois filles plus jeunes qu’elle qui allaient encore à l’école et un petit frère trop gâté par sa mère qui, lui, n’était pas encore scolarisé.

Sa mère l’appelait toujours « mon petit oiseau », pour son père c’était « le Capitaine », tandis que ses sœurs et elle le trouvaient maladroit et trop gâté.

Chaque matin, elles s’approchaient de son lit pour le réveiller. Du bout des doigts, elles soulevaient son couvre-lit et sentaient la mauvaise odeur de son pyjam


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