Théâtre

On liquide – à propos de Nous pour un moment d’Arne Lygre mis en scène par Stéphane Braunschweig

Critique

Avec Nous pour un moment, c’est la quatrième fois que le metteur en scène Stéphane Braunschweig adapte l’auteur norvégien contemporain Arne Lygre. Et c’est le sentiment d’un isomorphisme absolu qui lie les deux artistes, tant la scénographie – superbe et saisissante, perdurant pour longtemps dans nos esprits – traduit sobrement la liquéfaction – du décor, du lien social, du tout – qui semble menacer sous nos pieds. Et ceux des remarquables comédiens.

Nul doute que les œuvres se parlent : « ou plutôt » – comme le répètent les personnages de Arne Lygre, qui ne cessent de reprendre leurs paroles, de préciser leurs mots – nous évoluons entre leurs échos : ceux que nous faisons tinter d’une œuvre à une autre, tissant entre elles des liens subjectifs et improbables, à la manière d’un cadavre exquis infini, fait de sutures accidentelles, de correspondances arbitraires, et de l’envie de voir les œuvres se prolonger les unes dans les autres. Parce qu’on a manqué « Nous pour un moment » un premier soir, en ces temps de mouvement social et de transports perturbés, désemparé comme après un avion raté, on s’est rabattu sur une séance de cinéma : c’est ainsi qu’on a découvert le film Kanal : ils aimaient la vie, réalisé par Andrzej Wajda en 1957, qui reçut la même année, le prix du Jury du Festival de Cannes.

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On a alors plongé dans l’atmosphère asphyxiante des égouts : le film raconte la difficile avancée, au cœur d’un enchevêtrement de tunnels humides et boueux, d’un petit groupe de résistants polonais en 1944, évacuant en secret Varsovie désormais aux mains des Allemands. Et lorsqu’enfin, le lendemain, on découvrait l’hypnotique mise en scène de « Nous pour un moment » par Stéphane Braunschweig, celle-ci nous apparut -toute illusion rétrospective assumée- comme le prolongement, (sinon le terme), des suffocantes galeries souterraines de Kanal, le film devenant à son tour un prélude aqueux à l’univers trempé et enlisé de la pièce, dont l’envoutante scénographie, vaporeusement structurée autour de l’élément liquide, faisait résonner par hasard des images de la veille – la scansion entêtante du goutte-à-goutte de l’eau qui s’infiltre, le motif de la claustration, déplacé de l’univers physique du tunnel à celui de la psyché tourmentée des personnages de « Nous pour un moment ».

Inattendus rapprochements causés par les clinamen du quotidien : ou comment un embouteillage peut faire s’entrechoquer non pas seulement des v