Politique

Haro sur l’article 49-3 ?

Juriste

Le Premier ministre a finalement annoncé samedi sa décision d’utiliser l’article 49-3 pour faire adopter la réforme des retraites. Evoquée depuis plusieurs jours, la décision a suscité les habituels débats sur son caractère démocratique ou non, au regard de l’obstruction parlementaire sujette aux mêmes critiques. Mais contrairement à ce qui est souvent affirmé : le recours à cet outil constitutionnel ne tue pas le débat, au contraire il le relance.

Le 49-3, un « LBD parlementaire » ? Le 49-3, « une bombe atomique » ? Le 49-3, « une arme d’encerclement parlementaire » ? L’article 49-3, « un exercice de responsabilité politique » ? Le 49-3, « un moyen constitutionnel de décision politique » ? L’article 49-3 ne mérite sans doute ni l’un ni l’autre de ces excès. Il a été utilisé 88 fois depuis 1958, par des gouvernements de droite et de gauche, pour des lois à fort contenu politique.

C’est par le 49-3 que Michel Debré a fait adopter en 1961 la force de frappe nucléaire, que Raymond Barre a fait adopter en 1980 le budget de la France, que Michel Rocard a fait adopter quinze textes dont la création du Conseil supérieur de l’audiovisuel, la réforme du statut de la Régie Renault et la loi de programmation militaire 1990-1993, qu’Édith Cresson a fait adopter le budget 1992 et la création de l’agence du médicament, que Pierre Bérégovoy a fait adopter la loi sur la maîtrise des dépenses de santé et le budget 1993, qu’Édouard Balladur a fait adopter la loi relative aux privatisations des entreprises publiques, qu’Alain Juppé a fait adopter en 1996 le nouveau statut de France Télécom, que Jean-Pierre Raffarin a fait adopter la réforme des modes de scrutin régional et européen et la loi de décentralisation, que Manuel Valls a fait adopter la loi travail, Macron pour la croissance et l’activité et la réforme du code du travail.

Ces rappels n’ont pas pour objet de valider l’usage de l’article 49-3, seulement d’introduire un peu de mesure dans la polémique. Et un brin d’histoire ne fait jamais de mal. Le paradoxe, en effet, de la polémique actuelle est que cet article a fait l’objet d’un large consensus au moment de son adoption. En 1958, tout le monde cherche les moyens constitutionnels pour mettre fin à l’instabilité ministérielle de la IVe République – 18 gouvernements en douze ans. Et ce souci n’est pas seulement celui des gaullistes ; il est aussi et surtout celui des anciens présidents du Conseil de cette IVe République


Dominique Rousseau

Juriste, Professeur émérite de droit public à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne,Directeur de l'Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne